La période comprise entre Roch hachana et Yom Kippour est appelée
les « Dix jours de techouva », ce que l’on pourrait traduire
par les « Dix Jours de retour à D.ieu », ou les « Dix
Jours de Repentir ». Ce sont des journées d’introspection,
nourries par l’espoir de perfectionnement et de changement.
Le Talmud nous aide à comprendre la signification de ces journées
:
«
Rabbi Krouspedai a enseigné au nom de Rabbi Yo‘hanan : « Trois
livres sont ouverts [dans le ciel] à Roch hachana : un premier pour
ceux qui sont intégralement mauvais, un deuxième pour ceux qui
sont intégralement vertueux, et un troisième pour ceux qui se
trouvent entre ces deux extrêmes. Ceux qui sont intégralement
vertueux sont immédiatement et définitivement inscrits dans le
Livre de Vie. Ceux qui sont intégralement mauvais sont immédiatement
et définitivement inscrits dans le Livre de Mort. Quant au destin de
ceux qui sont entre les deux, il reste suspendu de Roch hachana jusqu’à Yom
Kippour, le Jour du pardon. S’ils ont des mérites, ils sont inscrits
dans le Livre de Vie. S’ils n’en ont pas, ils sont inscrits dans
le Livre de Mort » (Roch hachana 16b) ».
Ce que signifie ce passage, c’est que ces dix jours servent spécifiquement – sinon
exclusivement – à ceux qui se situent entre les extrêmes.
Ils sont disponibles pour l’individu pour briser le « lien » avec
le mal et affirmer clairement ses vertus. Logiquement, un résultat positif
résultera, soit de l’ajout de bonnes actions, soit du retranchement
de péchés.
Maïmonide, cependant, dans sa codification de cette loi, déclare
explicitement que la seule voie vers l’inscription dans le Livre de Vie
est la techouva. Des nombreux commentaires rabbiniques ont relevé ce
point de vue de Maïmonide et des suggestions diverses ont été avancées
pour expliquer pourquoi ce grand philosophe a dévié du sens simple
du passage talmudique, lequel implique qu’à balance égale,
même une seule bonne action peut la faire pencher en faveur du pécheur.
[Le Talmud de Jérusalem déclare spécifiquement que la
techouva doit être faite pendant ces dix jours, tandis que celui de Babylone
est plus nuancé. Il apparaît, par conséquent, que Maïmonide
a considéré que le passage dans le Talmud de Jérusalem
clarifie la position du Talmud de Babylone. Rabbi Itzle de Pressberg, Rabbi
Yits‘haq Hutner, Rabbi ‘Hayim Shmuelevitz ont tous proposé d’intéressantes
analyses pour expliquer ce passage dans Maïmonide.]
Nous pouvons conclure que, selon Maïmonide, la techouva est supérieure à tout
ce que nous pouvons faire d’autre pendant ces dix jours.
LE MERITE PROCURE PAR LES BONNES ACTIONS
Néanmoins, Maïmonide, dans la loi qui fait suite, déclare
que d’autres actes que la techouva sont de mise pendant les dix jours
:
« Il est de tradition dans toute la communauté juive de consacrer à la
charité des sommes plus importantes qu’à l’accoutumée,
d’accomplir plus de bonnes actions et d’attacher plus d’importance à l’accomplissement
des commandements entre Roch hachana et Yom Kippour, que pendant le reste de
l’année. On a l’habitude de se lever la nuit pour prier… jusqu’à l’aube
(Hilkhoth techouva 3, 4). »
Si à son avis la techouva est le seul moyen de faire pencher l’échelle, à quoi
ces autres actions peuvent-elles servir ?
Nous pouvons renforcer la question en présentant une autre idée.
L’année finit le dernier jour du mois hébreu de éloul et commence le premier jour du mois de tichri, c’est-à-dire à Roch
hachana. De la sorte, les dix jours de Roch hachana à Yom Kippour font
partie de la nouvelle année, pas de la précédente. Ainsi
donc, pour celui qui appartient à la catégorie intermédiaire,
une bonne action de plus ne figurera pas au bilan de l’année précédente.
La seule chose qui puisse influer sur ce bilan est la techouva, l’effacement
des péchés. Toute nouvelle bonne action faite ou tout commandement
accompli sera compté sur le grand-livre de l’année à venir.
Les observations qui précèdent nous permettent de mieux comprendre
pourquoi le passage talmudique cité ci-dessus s’applique exclusivement,
selon Maïmonide, à la techouva. Mais pourquoi parle-t-il, au paragraphe
suivant de sa codification, de l’importance de la Tsédakah pendant
ces dix jours ?
On peut se poser la même question à propos de deux autres passages
de Maïmonide, les Hilkhoth techouva et les Hilkhoth matnoth ‘aniyyim,
dont le contenu est très contrasté :
« Tous les prophètes prescrivent la techouva, et Israël
ne sera sauvé que par elle… » (Hilkhoth techouva 7, 5).
« Nous devons être plus attentifs en matière de Tsédakah
que pour tous les autres commandements actifs. Car la charité est le
signe qui marque la vertueuse descendance de notre ancêtre Abraham… Et
c’est sur elle que sera établi le “trône d’Israël”.
Et Israël ne sera sauvé que par la Tsédakah » (Hilkhoth
matnoth ‘aniyyim 10, 1).
Quel sera le facteur déclenchant de notre libération, la techouva ou la Tsédakah ?
QU’EST-CE QUI COMPTE LE PLUS ?
Cela revient à la question que nous nous sommes posée à propos
des Dix Jours de techouva. Il est évident, dans le système de
pensée de Maïmonide, qu’il existe un certain type de rapport
entre la techouva et la Tsédakah.
Peut-être le rapport est-il le suivant : La techouva abolit nos péchés,
mais une fois supprimés, la personne reste comme un récipient
vide. Le rôle de la techouva n’est pas de nous sauver, mais nous
devons, après nous y être livrés, redoubler d’efforts
pour améliorer le monde. Seul un monde amélioré peut être
sauvé.
Ce perfectionnement aura lieu par la Tsédakah. Cette idée est
celle exprimée dans le verset :
«
Retire-toi du mal, et fais le bien ! » (Psaumes 34, 15).
Le Psalmiste ne se contente pas de nous inciter à « nous retirer
du mal ». Il ajoute : « Et fais le bien ! » Nous pouvons
donc conclure que la techouva elle-même n’est pas suffisante pour
nous sauver, bien qu’elle soit certainement une condition essentielle
de notre salut.
Sans la techouva, la Tsédakah est insuffisante, et au contraire, sans
la Tsédakah, c’est la techouva qui est impuissante.
Peut-être peut-on dire la même chose des dix jours entre Roch
hachana et Yom Kippour : Nous devons nous retirer du mal, mais faire le bien
est également nécessaire, non pas parce qu’il affecte la
balance de nos fautes et de nos mérites passés, ce que seule
peut faire la techouva, mais parce que la Tsédakah constitue un mérite
pour celui qui vient d’être sauvé, pour celui qui, ayant
abandonné ses mauvaises actions, doit maintenant remplir le vide qui
est en lui par des gestes méritoires.
LA BONTE ET LA SOUFFRANCE
Dans l’ouvrage classique que Rabbeinou Yona a consacré à la
techouva, nous trouvons les commentaires suivants, qui éclairent notre
débat :
« Le dix-septième principe recommande de multiplier les actes
de bonté comme il est écrit : “Par la bonté et par
la vérité est pardonnée l’iniquité, et par
la crainte de D.ieu on se détourne du mal” (Proverbes 16, 6).
Méditons sur le secret de ce verset. Si le pécheur ne fait pas
retour à D.ieu [par la techouva], la bonté dont il fait preuve
ne purgera pas son iniquité… [même une] bonne action [n’aidera
pas à méconnaître le péché]. C’est
donc que le verset [ci-dessus] parle du ba‘al techouva (“Celui
qui revient”), car il y a des péchés qui ne sont pas complètement
effacés par la techouva… mais c’est la souffrance qui en
achève l’effacement… » (Cha‘arei techouva 1,
47).
Rabbeinou Yona décrit un lien extraordinaire entre la techouva et les
actes de bonté, le ‘héssed. Celui-ci est perçu ici
comme le complément de la techouva, en ce sens qu’il neutralise
certaines des ramifications du péché.
La techouva a la capacité de rallumer nos rapports avec D.ieu, mais
le ‘héssed peut complètement combler la faille qui a été causée
par le péché. Cette idée de souffrance, comme un composant
du processus de techouva, est également mentionnée dans d’autres
sources, notamment par Maïmonide lui-même, qui écrit :
«
[Une personne] n’obtiendra pas le pardon complet avant que l’atteigne
la souffrance » (Hilkhoth techouva 1, 4).
Les commentateurs de Maïmonide débattent du point de savoir si
ce qu’il écrit ici s’applique à tous les péchés
ou seulement à certains d’entre eux, mais l’idée
de la nécessité d’une souffrance dans le processus de réadaptation
leur est évidente.
Le Mabit (Rav Moché ben Yossef Mitrani) explique comment opère
la souffrance :
« L’idée qui se dissimule derrière l’idée
que la souffrance effectue un nettoyage spirituel est qu’elle sert à neutraliser
le plaisir que le pécheur a connu pendant son acte. La douleur servira à affaiblir
les désirs physiques, afin d’assurer que la personne ne péchera
pas de nouveau » (Beith Eloqim, Cha‘ar techouva, chapitre 8).
Le judaïsme ne tient pas le physique comme un mal en soi, bien au contraire.
Il considère que le physique a été créé par
D.ieu pour permettre à l’homme d’accomplir sa mission sur
cette terre. Le principe de base dans le judaïsme est que l’on doit
prendre le physique et les choses de ce monde et les élever.
L’ELEVATION DU PHYSIQUE
L’homme a la capacité de prendre le physique et le transformer
en quelque chose de spirituel. Quand il pèche, cet équilibre
délicat entre le spirituel et le physique est rompu. Il faut donc que
le processus de rectification contribue à le rétablir. C’est
là le rôle de la souffrance. Quand l’homme voit que le physique
n’est pas ce qu’il pensait au moment où il a péché,
c’est qu’il est guéri.
Autrement dit, la techouva demande à D.ieu de pardonner avec l’espoir
de ne pas retourner au péché. La souffrance purge le péché de
l’âme qui est devenue infectée en raison de cet acte de
rébellion.
Cette idée nous permettra de lieux comprendre ce que veut dire la Tora
lorsqu’elle énonce que Yom Kippour « afflige nos âmes ».
Celui qui a commis des fautes toute l’année durant demande à D.ieu,
ce jour-là, de lui pardonner, et le jeûne, ainsi que d’autres
privations, l’aident à purger son âme des effets insidieux
du péché.
On comprend dès lors l’idée de Rabbeinou Yona. De même
que les privations peuvent purger nos âmes, de même les actes de
bonté le peuvent-ils. La raison en est que le péché contient
souvent un aspect d’égocentrisme.
Nous nous plaçons et plaçons nos désirs au-dessus de
tout le reste. L’acte consistant à donner à autrui indique
que nous avons cessé d’être dominés par cette envie
destructrice. Ce n’est pas un substitut à la techouva, mais cela
peut remplacer le besoin de souffrance. Car l’acte de donner peut recréer
la même pureté de l’âme que le fait la souffrance.
Par la souffrance ou par le don à autrui on peut réaliser l’équilibre
spirituel décrit ci-dessus.
Cette idée paraît constituer une réponse à notre
première question, celle de savoir pourquoi Maïmonide relie ces
dix jours à la techouva, pour ensuite évoquer l’importance
des autres actes. Ceux-ci complètent la techouva en allégeant
le besoin de souffrir.
Maïmonide, cependant, ne dit pas de notre libération qu’elle
est le résultat d’actes de bonté en général,
mais seulement de la Tsédakah.
Pourquoi la Tsédakah possède-t-elle un tel statut, comparée
aux autres actes de bonté ?
LE PAUVRE MERITANT
Maïmonide examine dans son « Guide des égarés » la
différence entre les notions de Tsédakah et de ‘héssed.
Le geste de ‘héssed profite à un bénéficiaire
qui ne mérite pas vraiment la grâce qu’il reçoit.
Quant à la Tsédakah, terme issu du mot tsédek (« justice »),
elle implique que le bénéficiaire est digne de ce qui lui est
octroyé.
[Rav Soloveitchik fait observer qu’il est incorrect de traduire le mot
Tsédakah par « charité ». Ce mot est en effet issu
du latin caritas, ce qui implique l’octroi d’une faveur à un
bénéficiaire qui ne la mérite pas (voir Yemei Zikharon,
pages 43 et 44)].
Quand un Juif donne la Tsédakah, il confirme d’une certaine façon
une association avec D.ieu dans la mesure où il prend soin d’autrui.
C’est là une obligation, et non un acte de bonté, un ‘héssed.
Cette idée est expliquée clairement dans le Zohar :
« Il suit de là que celui qui donne de la Tsédakah à un
pauvre rend le Saint Nom complet comme il devrait l’être, puisque
la Tsédakah est l’arbre de vie… Mais cela ne vaut que pour
la charité faite sans arrière-pensée, car celui qui l’accomplit
relie la Tsédakah à tsédek pour que le tout forme le Saint
Nom, puisqu’il n’est pas de tsédek sans Tsédakah » (Zohar,
Wayiqra, section 3, page 113b).
Le Zohar considère, comme le fait Maïmonide, que la racine du
mot Tsédakah est effectivement tsédek. La seule différence
entre les deux mots est constituée par la lettre supplémentaire
hé de Tsédakah. Cette lettre est issue du Nom divin, le Tétragramme.
Aussi la personne qui donne Tsédakah devient l’associée
de D.ieu, et son geste s’imprègne de divinité ici sur la
terre, tandis qu’il complète ce Nom divin.
UNE ASSOCIATION AVEC D.IEU
En outre, le Zohar déclare que lorsque nous devenons des associés
de D.ieu, la façon qui détermine le jugement divin est modifiée
:
« Rabbi Eliézer a enseigné : “Voyez comme se montre
miséricordieux le Saint béni soit-Il envers toutes les créatures,
et surtout celles qui marchent dans Ses voies. Car lorsqu’Il est sur
le point d’exécuter un jugement sur le monde, Il fournit à ceux
qui Lui sont chers l’occasion d’accomplir une bonne action. C’est
ainsi que lorsqu’Il aime quelqu’un, Il lui offre un présent
sous la forme d’un pauvre homme, pour qu’il lui fasse exécuter
quelque bonne action, par le mérite de laquelle il se procurera un cordon
de grâce venu de sa droite qui s’enroulera autour de sa tête
et imprimera sur lui une marque qui lui vaudra d’être épargné lorsque
le destructeur, venu punir le monde, la remarquera et veillera attentif à le
laisser indemne” » (Zohar, Berèchith, section 1, page 104a).
Cette idée d’une relation réciproque entre les êtres
humains et D.ieu peut être illustrée par le passage suivant :
« On rapporte que rabbi Eliézer s’est une fois avancé devant
l’Arche et a récité les vingt-quatre bénédictions
[des jours de jeûne] sans que ses prières aient été exaucées.
Rabbi ‘Aqiva s’est avancé après lui et s’est
exclamé : “Notre Père, notre Roi, nous n’avons d’autre
Roi que Toi ; notre Père, notre Roi, aie pitié de nous à cause
de Toi !” Et la pluie s’est mise à tomber. Les rabbins présents
ayant alors soupçonné [rabbi Eliézer], on a entendu une
voix céleste proclamer : “La prière de cet homme-ci, [Rabbi ‘Aqiva],
a été exaucée, non pas parce qu’il est plus grand
que celui-là, mais parce qu’il pardonne toujours et pas celui-là » (Ta‘anith
25b).
La bienveillance dont faisait preuve Rabbi ‘Aqiva avec les gens définissait
la façon dont D.ieu allait répondre à ses supplications.
Quand l’homme pèche, non seulement il se rebelle contre D.ieu,
mais il fait aussi échouer la mission d’Israël sur cette
terre.
D.ieu a créé un monde merveilleux, rempli tout à la fois
de plaisirs physiques et de possibilités spirituelles. L’homme
crée par ses péchés un univers sombre et plein de douleur.
Les péchés, la préférence donnée au physique
sur le spirituel font surgir un monde déformé. L’homme
qui suit ce chemin fait échec à la mission qui lui est confiée
sur terre.
LA MISSION DES JUIFS
Le peuple juif dans son ensemble est investi lui aussi d’une mission,
celle de recréer ce jardin merveilleux que D.ieu a créé à l’aube
de l’histoire, celle de réparer le monde.
Le pécheur qui se repent vraiment est sûrement pardonné.
Mais les taches abjectes laissées par le péché sont souvent
plus difficiles à faire disparaître que le péché lui-même.
Collectivement, quand le peuple juif s’abandonne au péché,
il en subsiste des taches, des taches souvent profondes. Le meilleur moyen
de les faire disparaître est constitué par la Tsédakah.
Celui qui commet un péché se sépare dans une certaine
mesure de la communauté, et la Tsédakah l’aide à y
retrouver sa place.
Comme l’a écrit Maïmonide :
« Et c’est sur la Tsédakah seulement que sera établi
le « trône d’Israël ». Et Israël ne sera
sauvé que par la Tsédakah » (Hilkhoth matnoth ‘aniyyim
10, 1).
En donnant la Tsédakah, l’homme prend une position active dans
son association avec D.ieu, et il s’engage dans un comportement qui accompagnera
une renaissance spirituelle, dans un réveil et un retour vers D.ieu
qui conduira à l’ère messianique.
«
Sion sera rachetée par le jugement, et les siens qui lui reviennent,
par la justice » (Isaïe 1, 27).
Puissions-nous tous, par notre jeûne, nous débarrasser de tous
nos péchés en ce Yom Kippour, puissions-nous tous assumer la
responsabilité de notre association avec D.ieu, et nous garantir ainsi
notre libération. Puissions-nous tous être inscrits dans le Livre
de Vie, et mériter de pouvoir accueillir le Messie bientôt et
de nos jours !
Traduction et adaptation de Jacques KOHN