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Judaïsme / Diet-éthique back  Retour
Petit poisson deviendra grand...
Jean de la Fontaine
Un juif pieux peut consommer du saumon fumé, du hareng mariné, du thon grillé ou un filet de sole, mais s’abstiendra de manger du requin en papillote, des moules-frites ou encore des calamars farcis. En effet, la Torah (Lévitique 11,9) donne deux critères précis pour qu’un poisson soit cacher : il faut qu’il ait à la fois des écailles et des nageoires.

Au-delà de la dimension pratique qui permet de faire son choix chez le poissonnier, nous voudrions proposer une explication symbolique à cette double exigence écailles/nageoires.

Sur un plan symbolique, en effet, les écailles renvoient au « quant-à-soi » alors que les nageoires évoquent l’ouverture à l’autre, la mobilité. Pour la conscience juive, ces deux notions peuvent et doivent aller de pair : chacun doit pouvoir cultiver sa singularité et la préserver (les écailles constituent une sorte de « carapace ») tout en restant ouvert et disponible pour l’autre (les nageoires garantissent la mobilité). Avoir des écailles, c’est ne pas être trop influençable, avoir des principes, préserver son jardin secret. Mais rester toujours centré sur soi n’est pas sain. Le repli sur soi doit être modéré par la vie sociale, l’ouverture aux autres que symbolisent les nageoires qui invitent à aller vers autrui, à ne pas toujours « camper sur ses positions ».
 

Le test du « qui suis-je » : préserver ses écailles

L’équilibre n’est pas toujours facile à trouver entre les deux attitudes : ne pas se laisser déborder par notre rôle social sans pour autant adopter une attitude autistique...

Dans la vie, on est souvent tellement imbriqué dans un tissu de relations sociales (les nageoires) qu’on en perd parfois son individualité (les écailles). Il existe un test connu des psychologues sous le nom « test du qui suis-je ? ». Ce test part du principe que notre identité est constituée à la fois d’une composante sociale (mon appartenance à telle ou telle catégorie sociale, ma position dans la société) et d’une composante individuelle (ma personnalité, mes passions etc...). Demandez à quelqu’un de répondre vingt fois de suite à la question « qui suis-je ? », chaque réponse devant être différente. L’expérience a prouvé que les gens répondent d’abord en terme de catégorie et de rôle social (je suis un homme, je suis étudiant, je suis blanc, je suis français...). Ce n’est qu’après épuisement de ces étiquettes sociales, de ces réponses positionnant la personne au sein d’un groupe, que viennent les réponses plus subjectives, plus individuelles (je suis un amateur de musique, une personne intelligente, quelqu’un d’heureux...). En chacun de nous coexistent, selon la formule de George Herbert Mead (philosophe américain, 1863-1931), un « Moi conformiste » et un « Je créatif », le premier prenant souvent le dessus sur le second. Mais il ne faut pas renoncer aux « nageoires » pour autant car les deux critères sont exigés par la Torah pour que le poisson soit cacher...
 

Généreux mais pas trop...

Sur un plan économique, la règle écailles/nageoires peut s’exprimer ainsi : la Torah nous invite à d’innombrables reprises à faire preuve de générosité. Plusieurs commandements explicites nous demandent de nous soucier avec cœur des plus démunis. Un juif pieux doit donner au moins le dixième de ses revenus aux pauvres. Voilà pour les nageoires : aller à la rencontre de l’autre, partager, vivre ensemble, contribuer à l’épanouissement de la collectivité.

Mais pour autant, la Torah ne culpabilise pas celui qui prospère dans ses affaires. La réussite économique est au contraire considérée comme une bénédiction divine (La Torah raconte qu’Abraham était fort riche, les Hébreux sont sortis d’Egypte avec de grandes richesses etc.). Chacun a donc le droit à un certain confort économique. C’est pourquoi, malgré les appels récurrents à la solidarité sociale, la tradition juive interdit d’être trop généreux ! Les rabbins ont en effet interdit à quelqu’un de donner aux pauvres plus de vingt pour cent de ses revenus, pour ne pas qu’il s’appauvrisse à son tour (cette règle porte dans le Talmud le nom de « décret d’Oucha »). L’élan premier de générosité est limité par la préservation nécessaire d’un certain niveau de vie individuel. Voilà pour les écailles...
 

Particularisme et universalisme

Au niveau collectif, un équilibre doit aussi être trouvé. Le peuple Juif a toujours recherché l’équilibre entre « écailles » et « nageoires » : les Juifs doivent préserver leur identité, se marier entre eux, ne pas s’assimiler etc. Les règles de la Torah les distinguent du reste de l’Humanité et tout est fait pour cultiver un certain particularisme (les mitsvot constituent donc des « écailles » symboliques). Mais cela ne signifie pas que les Juifs aspirent à vivre dans un ghetto en se désintéressant du sort de l’Humanité ! Pensons au personnage de Joseph qui préserva en Egypte son intégrité et ses valeurs morales tout en mettant son génie et sa sagesse au service de ses concitoyens égyptiens qu’il sauva de la famine... Cette attitude d’ouverture est symbolisée par les nageoires. Mais ne peut s’ouvrir aux autres que celui qui est clair avec sa propre identité...

On retrouve cet équilibre écailles (particularisme)/nageoires (universalisme) dans l’épisode biblique relatif à la circoncision d’Abraham : la circoncision distingue les Juifs des autres. Elle « met à part ». Elle est un signe identitaire fort, qui renvoie à la symbolique des écailles. Pourtant, quel est le premier geste qu’accomplit Abraham après sa circoncision ? Un geste d’ouverture (nageoires) vers des hommes fort différents de lui (il accueille sous sa tente trois idolâtres de passage : signe d’une grande hospitalité). Car celui qui sait clairement qui il est n’a jamais peur de la rencontre avec l’autre.

L'universalisme comme but et le particularisme comme moyen.
 
Remarquant en effet que l’épisode de l’hospitalité d’Abraham fait directement suite à sa circoncision, Rabbi Samson Raphaël Hirsch (Allemagne, 1808-1888, fondateur de la néo-orthodoxie) écrit dans son commentaire du Pentateuque (sur Genèse 18,1) : « Que n’a-t-on pas dénigré le judaïsme et ses représentants, les Juifs : comment ces circoncis ne se prendraient-ils pas pour des élus de leur Dieu ; comment ce signe séparateur ne les dépouillerait-il pas de tout sentiment et de toute pensée cosmopolite à l’égard des hommes et de l’humanité, et comment ne réduiraient-ils pas le Dieu du ciel et de la terre, Dieu de toutes les âmes humaines, à un dieu national, au dieu de leur coin de terre ! (…) Or l’unique souci d’Abraham en tant que circoncis est d’offrir l’hospitalité à des voyageurs de passage, ce qui est plus important que de se tenir en présence de Dieu. Et quels voyageurs ! Des idolâtres incirconcis devant lesquels Abraham se précipite, délaissant la présence divine afin d’exercer à leur égard le devoir d’amour du prochain ».

Ainsi, le particularisme d’Israël qu’inaugure la circoncision, n’est pas synonyme de fermeture mais, bien au contraire, induit une responsabilité accrue à l’égard de tous les hommes. Ce commentaire fait écho à la célèbre formule du Rabbin Elie Benamozegh (Italie, 1822-1900) selon qui « le judaïsme, c’est l’universalisme comme but et le particularisme comme moyen ».
 

Les Hébreux en égypte

Illustrons à nouveau la thématique écailles/nageoires par le passage biblique décrivant l’arrivée des frères et du père de Joseph en Egypte (à cause de la famine). Le peuple Juif est en effet véritablement né en terre d’Egypte, cet environnement totalitaire dirigé par un pharaon divinisé qui fait de l’obéissance, de la soumission et du conformisme une religion. A preuve, l’agneau est une divinité égyptienne qui symbolise la vénération pour l’instinct grégaire. C’est pourquoi aussi, la Torah nous fait savoir que les Egyptiens détestent les bergers. Car, pour un peuple docile comme un troupeau de moutons, il n’est pas bon être un « meneur » de bêtes. C’est fort de ces informations que Joseph (vice-roi d’Egypte) trouvera une solution permettant d’éviter l’assimilation de ses frères et de leurs descendants fraîchement arrivés aux bords du Nil : « Lorsque le pharaon vous demandera et dira ‘quelles sont vos occupations’, vous répondrez ‘tes serviteurs se sont adonnés au bétail depuis leur jeunesse et jusqu’à présent, nous et nos pères’. Ceci afin que vous demeuriez dans la province de Gochen, car les Egyptiens ont en horreur les bergers de  menu bétail » (Genèse 46, 33).

D’ailleurs, cette province de Gochen dit bien cette tension, chez les Hébreux qui viennent de trouver refuge en Egypte (avant l’esclavage), entre le désir d’être de bons citoyens (Joseph n’a-t-il pas mis toute sa sagesse au service de l’Egypte au moment de la famine ?) et la ferme volonté de préserver leur particularisme. Car la racine G.CH (de Gochen) renvoie toujours à une relation qui garde une certaine distance. Le mot GeCHer, « pont », exprime bien l’idée du lien entre deux entités qui ne se confondent pas et qui restent à distance. Le concubinage, relation de proximité qui préserve la totale autonomie de chacun, renvoie à la même racine : piléGuéCh. Lorsque Juda s’avance vers Joseph, qui n’a pas encore dévoilé à ses frères son identité, le verset dit VayiGaCH (« et Juda s’avança », Genèse 44,18), traduit par le Midrash par : « Il s’avança avec beaucoup de respect mais prêt à l’attaquer au besoin » : être courtois mais ferme, proche et distant à la fois... c’est tout le dilemme de la vie sociale. Le philosophe Arthur Schopenhauer résume cette tension entre « préservation du quant-à-soi » et « nécessaire vivre ensemble » dans sa fameuse parabole des porcs-épics en hiver : ces derniers ont froid et ils se collent les uns aux autres pour se réchauffer. Mais du coup, ils se piquent et reprennent leurs distances. Mais ils ont froid à nouveau et se rapprochent... et ainsi de suite. Autrement dit, la vie sociale est nécessaire mais pleine de dangers...  (Cf. Parerga et paralipomena, II, §396).

A chacun de garder la bonne distance pour ne pas que la société gomme sa singularité. A chacun de s’envelopper d’écailles tout en poursuivant sa précieuse vie sociale grâce à ses écailles...


A PROPOS DE L'AUTEUR
Le Rav Amitaï ALLALI
Commissaire Général des Eclaireuses Eclaireurs Israélites de France (EEIF), avant de devenir conseiller pédagogique pour l’enseignement juif à l’école George Leven. Il a enseigné à l'Institut Universitaire Rachi de Troyes et a dirigé la Section Normale des Etudes Juives de l'A.I.U. (Alliance Israélite Universelle). Il a occupé des postes rabbiniques dans les communautés de Bordeaux et de Vincennes et est aujourd’hui conférencier à l’association LEV. Il est l’auteur de « La Tsédaka : Lois et commentaires sur les dons aux pauvres de Maïmonide » paru aux éditions Lichma en 2006, « Les trompettes d'argent » (Octobre 2008), "Leçons de diét-éthique" (2ème trimestre 2009), et "Les prophètes, les enfants et les fous" (1er trimestre 2010).
  Liens vers les articles du même auteur (22 articles)


COMMENTAIRE(S) DE VISITEUR(S)  1
DIET-ÉTHIQUE - 15 Juin 2012 - par edery e
J'AI ADORÉ VOS ARTICLES........QUAND AURONS-NOUS LE PLAISIR D'EN LIRE D'AUTRES???????? CHABAT CHALOM
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