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Théologie du souci écologique

Dans la pensée juive, Dieu se retire progressivement de l’histoire pour permettre à l’homme d’entrer en scène et de gagner en autonomie. C’est donc bien l’homme et non Dieu qui assume la responsabilité du devenir du projet divin et du parachèvement de la création.

Tora et écologie

 

Il existe un certain nombre de commandements bibliques qui témoignent d’un véritable souci quant à la protection de l’environnement et la préservation des ressources naturelles.

 

Précisons toutefois que le regard écologique de la tradition juive ne s’accompagne pas d’une critique de la modernité ou d’une tendance technophobe. La Tora encourage la maîtrise de la Nature et le parachèvement de la création par l’Homme.

 

Toutefois, cette démarche active doit être placée sous le signe de la responsabilité. C’est ce qu’enseigne un très joli midrash (Kohélet Rabba, 7) racontant qu’ « au moment où Dieu créa le premier homme, il le fit passer devant chaque arbre du Jardin d’Eden et lui dit : regarde comme mes œuvres sont belles et louables ! Sache que tout ce que j’ai créé, c’est pour toi que je l’ai créé. Alors sois attentif à ne pas détruire et gaspiller mon monde car si tu le détruis, qui le restaurera ? ».

 

Un certain nombre de préceptes bibliques visent un comportement responsable à l’égard des ressources naturelles et la loi juive consacre un large place à ces questions, y compris sur des sujets très modernes (rappelons que l’Etat d’Israël a adopté il y a quelques années plusieurs lois sur la protection de l’environnement formulées à partir de sources talmudiques et rabbiniques. (Cf. Eikhout haséviva du Pr. Rakover).

 

La Tora interdit par exemple de détruire un arbre fruitier, même en temps de guerre (Deutéronome, 20,19). Elle motive cette prohibition par une formule étonnante : « (…) Car l’Homme est tel un arbre des champs ». Rappel que le destin de l’homme (Adam) est forcément lié à celui de la Terre (Adama). Elargissant cette mesure, les sages du Talmud ont interdit le gaspillage sous toutes ses formes (bal tach’hit). « Les gens pieux ne gaspillent rien –dit un texte classique- pas même un grain de moutarde » (Séfer ha’hinoukh, 529).

 

D’après Maïmonide, le commandement biblique relatif à l’année sabbatique (chémita) durant laquelle la terre n’est pas travaillée a pour but de permettre au sol d’être au repos et de ne pas s’abîmer ou s’appauvrir par un travail humain discontinu.

 

La préservation des ressources naturelles inclut la préservation de la biodiversité. A ce propos, il existe un commandement biblique étonnant : « Si  tu rencontres en chemin un nid d’oiseaux sur un arbre ou à terre, de jeunes oiseaux ou des œufs sur lesquels soit posée la mère, tu ne prendras pas la mère avec sa couvée. Laisse plutôt s’envoler la mère avant de t’emparer des petits (...) » (Deutéronome 22,6-7). Pour Don Isaac Abravanel (1437-1508, rabbin et homme d’Etat portugais), l’objectif de cette mesure est d’éviter de porter atteinte à l’espèce. En prenant les petits mais en chassant la mère (qui pourra continuer à pondre), on limite les risques de diminution de l’espèce.

 

De même, la Tora (Lévitique 22,28) interdit d’égorger une bête et son petit le même jour. Selon Rabbi Aaron haLévi de Barcelone (auteur du Séfer ha’hinoukh), ce commandement vise à nous sensibiliser à la préservation des espèces.

 

Ces quelques exemples illustrent le fait qu’il est de la responsabilité de l’homme de veiller au devenir de la planète, notamment par devoir pour les générations à venir. Car comme le dit Antoine de Saint-Exupéry : « Nous n’héritons pas de la Terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ».

 

Théologie de la responsabilité humaine

 

Cela dit, la question n’est pas simple pour le croyant : car pourquoi tant se soucier de la Nature ? La Providence divine ne veille-t-elle pas sur la destinée humaine, sur ses créatures et sa création ?

 

Il est donc nécessaire de rappeler que, dans la pensée juive, Dieu se retire progressivement de l’histoire pour permettre à l’homme d’entrer en scène et de gagner en autonomie. C’est donc bien l’homme et non Dieu qui assume la responsabilité du devenir du projet divin et du parachèvement de la création.

 

Illustrons notre propos. Dans le récit biblique de la création, chacune des six journées originelles se termine par la formule «Il y eut un jour, il y eut un matin, jour un » (Genèse, 1,5), « il y eut un soir, il y eu un matin, deuxième jour » (1,8) et ainsi de suite. Mais à aucun moment, le septième jour, celui du chabbat, ne s’achève par la formule «il y eut un soir, il y eut un matin, septième jour » qui viendrait conclure ce jour comme les précédents.

 

L’une des explications audacieuses de cette absence de conclusion pour le chabbat originel consiste à dire la chose suivante : après ce premier chabbat, l’Histoire continue pour Adam, Eve et leurs descendants. Au septième jour succède un premier jour, inaugurant une nouvelle semaine. Mais pour Dieu, l’Histoire s’arrête et, pour ainsi dire, le chabbat se poursuit pour Dieu. D’où l’absence de la formule habituelle «il y eut un soir, il y eut un matin, septième jour ».

 

Expliquons ce que peut signifier ce « chabbat  divin » : lorsqu’un Juif pieux célèbre le chabbat, il prépare, six jours durant, tout ce qui sera nécessaire pour ce jour sacré (les plats sont cuisinés à l’avance, les lumières réglées sur minuterie etc.). Mais le samedi même, toute activité créatrice est prohibée et l’on se contente de jouir de ce qui a été mis en place avant l’entrée du chabbat. De manière imagée, Dieu est entré dans le temps du chabbat depuis le vendredi de la création : après avoir fixé dans la Nature des règles immuables, le voilà qui s’interdit désormais toute intervention. Ce retrait volontaire du Créateur permet à l’Homme d’entrer sur la scène de l’Histoire. Le chômage divin conditionne la liberté humaine.

 

Le thème du « retrait de Dieu » est relativement classique dans la littérature traditionnelle. Il est même évoqué par les kabbalistes comme une condition ayant permis la création elle-même. C’est le concept de tsimtsoum (contraction, retrait) qui est au cœur de la kabbale lourianique. Comment peut-il y avoir un monde, une création, si Dieu est –par essence- partout ? Il a fallu, expliquent les kabbalistes, que Dieu se retire de Lui-même pour créer du vide. L’existence même de l’univers puis de l’humanité n’est rendue possible que par le retrait du divin.

 

Cette responsabilité se traduit dans tous les domaines. Prenons pour exemple celui de la gestion des ressources et de la justice sociale.

 

Dans les actions de grâce (birkat hamazone) récitées après le repas, on conclut ainsi la première bénédiction : « Baroukh ata (…) hazane èt hakol », littéralement : « Béni Sois-tu (…) qui nourrit le tout ». Cette formulation est curieuse car on aurait dû dire « qui nourrit chacun » (hazane èt koulam). Ce qui se cache derrière cette formulation, c’est que l’on bénit Dieu pour la nourriture qu’Il donne « globalement » (hakol) : Dieu garantit qu’il y a suffisamment de ressources pour chacun ici-bas. Mais c’est aux hommes qu’incombe la responsabilité de faire en sorte que chacun puisse avoir sa part…

 

Il y a à ce propos un commentaire hassidique original, que propose Rabbi Its’hak de Warka (mort en 1848), disciple du Rabbi de Kotzk. Ce dernier considère que tout a été crée par Dieu, y compris le Mal et y compris les vices. Car, explique-t-il, même les traits de caractère négatifs peuvent en certaines circonstances avoir une utilité. L’orgueil ou la colère, par exemple, sont parfois utiles pour défendre de nobles causes, on peut légitimement avoir recours au mensonge dans certains cas etc...

 

Dans ces conditions, le maître se demande quelle est l’utilité de l’athéisme dans le plan divin ! Et il répond : « La mécréance peut-être utile en matière de générosité. Quand un homme est sollicité par un pauvre et qu’il répond –au lieu de l’aider financièrement- qu’il faut garder confiance en Dieu et prier pour que tout s’arrange...eh bien sa foi est déplacée et c’est pour ce type de circonstances que Dieu à crée l’athéisme ! Qu’il agisse à ce moment comme si Dieu n’existait pas et fasse preuve de responsabilité ». Audacieux commentaire... La fonction théologique de l’athéisme : la responsabilisation des hommes !

 

Cette idée se retrouve chez Levinas qui écrit : « La vraie corrélation entre l’homme et Dieu dépend d’une relation d’homme à homme, dont l’homme assume la pleine responsabilité, comme s’il n’y avait pas de Dieu sur qui compter » (Cf. Les imprévus de l’histoire, « La laïcité et la pensée d’Israël »).

 

Pour en revenir à la protection de l’environnement, les choses peuvent être posées dans les mêmes termes : le retrait divin oblige l’homme à assumer pleinement la responsabilité du devenir de la planète sans compter sur la Providence divine.

 

 La pensée de Hans Jonas

 

Cette approche nous conduit à évoquer la figure du philosophe Hans Jonas (1903-1993)[1] qui a été, justement, à la fois le théologien conceptualisant le retrait divin et le grand penseur de l’écologie et de la responsabilité.

 

C’est surtout ce dernier aspect qui a fait la notoriété du philosophe et de son ouvrage majeur : Le principe responsabilité[2]. Jonas est considéré comme la caution intellectuelle des mouvements écologistes. Selon lui, la « la technique moderne a introduit des actions d’un ordre de grandeur tellement nouveau, avec des objets tellement inédits et des conséquences tellement inédites, que le cadre de l’éthique antérieure ne peut plus les contenir ». Les possibilités nouvelles au niveau biologique, chimique etc. imposent à l’éthique « une nouvelle dimension de responsabilité jamais imaginée auparavant ». Cette nouvelle éthique, Jonas la formule sur un mode kantien avec des maximes comme celle-ci : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentique ».

 

Ce qui est intéressant, c’est que cet appel à la responsabilité humaine s’articule avec un autre volet de l’œuvre jonasienne : les questions théologiques. Dans un petit ouvrage, Le concept de Dieu après Auschwitz, une voix juive[3] Jonas, qui a perdu sa propre mère dans les camps, pose la question tristement classique du mal et de la théodicée : si Dieu est bon, pourquoi le mal est-il possible ? Telle fut la question déjà soulevée dans le livre biblique de Job mais à laquelle la Shoah a donné une gravité inédite.

 

S’inspirant de sources classiques de la mystique juive, Jonas évoque le renoncement volontaire de Dieu à sa toute-puissance. Dieu ne se désintéresse pas pour autant du devenir du monde, il est « soucieux », dit Jonas, du devenir de son projet. S’il n’intervient pas dans l’histoire et même quand le mal est à son paroxysme, « ce n’est point qu’il ne le voulait pas mais parce qu’il ne le pouvait pas (…) Dieu s’est dépouillé de tout pouvoir d’immixtion dans le cours physique des choses de ce monde ».

 

Dans sa postface au livre de Jonas et comme une synthèse de sa pensée, Catherine Chalier écrit : « La divinité a en effet voulu s’effacer entièrement afin que la réalité du monde soit, dans le temps et l’espace, d’une immanence non troublée par l’ingérence de sa transcendance (…) L’Homme, créé à l’image de Dieu, détient désormais la responsabilité du sort du monde, et, par-delà, celui de la divinité elle-même. »

 

 

La Tora et la tradition rabbinique invitent donc l’homme à se montrer responsable à l’égard d’un monde qu’il faut parachever et transformer, mais aussi préserver. Cette responsabilité humaine, dont le philosophe Hans Jonas fut le chantre, s’inscrit – au niveau théologique – dans une conception originale qui conçoit Dieu en retrait et transmettant la totale responsabilité du monde et du projet divin à l’humanité elle-même.



[1] Hans Jonas est né en Allemagne. Il a vécu aux Etats-Unis après un séjour en Israël. Il a été l’élève de Husserl, de Heidegger et de Bultmann.  Il fut également l’ami de Hannah Arendt.

[2] Le principe responsabilité, (1979, 1990 pour la traduction française), Flammarion.

[3] Le concept de Dieu après Auschwitz, (1984, 1994 pour la traduction française). Rivages Poches.



A PROPOS DE L'AUTEUR
Le Rav Amitaï ALLALI
Commissaire Général des Eclaireuses Eclaireurs Israélites de France (EEIF), avant de devenir conseiller pédagogique pour l’enseignement juif à l’école George Leven. Il a enseigné à l'Institut Universitaire Rachi de Troyes et a dirigé la Section Normale des Etudes Juives de l'A.I.U. (Alliance Israélite Universelle). Il a occupé des postes rabbiniques dans les communautés de Bordeaux et de Vincennes et est aujourd’hui conférencier à l’association LEV. Il est l’auteur de « La Tsédaka : Lois et commentaires sur les dons aux pauvres de Maïmonide » paru aux éditions Lichma en 2006, « Les trompettes d'argent » (Octobre 2008), "Leçons de diét-éthique" (2ème trimestre 2009), et "Les prophètes, les enfants et les fous" (1er trimestre 2010).
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