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Morales du Judaïsme n°1: Une morale du présent

Pour le judaïsme rien ne vaut l’action concrète.. Mais que faire pour qu’un lien réel se fasse entre l’abstraction des livres et l’action concrète ?
Le propre de la morale, son « utilité » première, c’est de réfléchir sur l’action pour lui donner des règles. Elle concerne à proprement parler le temps de l’action : le présent. C’est le « maintenant » et parfois le « tout de suite » qui nous sollicite moralement, qui exige de nous une réaction. Comment dés lors chercher des directives pour l’action dans les traités de morale ? Certes, ils peuvent nourrir une réflexion. On les consulte. Mais abstraits, hors des urgences de l’action, leur utilité ne reste-t-elle pas problématique ?

Aristote prévient le lecteur dés le début de L’Ethique à Nicomaque : « Si on n’a aucune expérience des choses de la vie, on ne retirera de cette étude rien d’utile ni de profitable puisqu’elle a pour fin, non pas la connaissance, mais l’action. » (I, 2)

Dans les Maximes des Pères ( Pirkei Avoth ) le texte de la michna 15, chapitre 1, dit au nom de Chamaï : « Parle peu et agis beaucoup ». Maïmonide explique que les hommes de bien parlent peu et agissent beaucoup comme Abraham qui promit à ses invités un peu de pain et leur apporta du beurre, du lait, un veau et trois mesures de fleur de farine (Genèse 18 :4 sq.). Tandis que les injustes parlent beaucoup et ne font pratiquement rien, comme Efron qui parlait de tout donner gratuitement à Abraham, mais qui lui fit payer ensuite jusqu’au dernier dinar au moment de passer à l’acte (Genèse 23 :10 sq.)
Pour Rabbénou Yona parler peu et agir beaucoup est une dimension supérieure que nos maîtres ont appris du Saint, béni soit-Il, qui promit à Abraham de délivrer son peuple par deux lettres de Son nom et Il les libéra par vingt-sept mots.
L’action morale concrète est le signe de la droiture humaine.
L’action morale concrète est donc le signe de la droiture humaine, droiture qui s’inspire directement de D-ieu. Cette  considération pour l’action est corroborée par une autre michna ( chapitre 1, 17) : «  L’essentiel n’est pas la déclaration mais l’acte, et  la multiplication des paroles amène la faute. » En vérité, quoi de plus logique ?
C’est le concret qui suscite le vrai problème moral. Les interrogations qu’il provoque naissent des contradictions que rencontre tout homme au cœur du « faire », dans le champ de l’action. En ce sens, la morale représente l’irruption de l’abstrait et de l’absolu dans le concret et le contingent.

Mais celui qui sait que l’action est primordiale a-t-il encore besoin de l’édification morale exprimée dans les livres ? Le discours moral est nécessaire à celui qui n’agit pas encore. Or, n’est-ce pas une absurdité que la morale soit lettre morte pour ceux qui en auraient le plus besoin? Aller vers le texte moral, prendre le temps de le comprendre, s’en imprégner patiemment n’est-ce pas déjà une vertu  morale ?

Il semble que pour le judaïsme rien ne vaut l’action concrète.. Mais que faire pour qu’un lien réel se fasse entre l’abstraction des livres et l’action concrète ?

Il se pourrait bien qu’en vérité il faille faire de ces textes une «  pensée en marche ». C’est par l’exégèse et la multiplicité des interprétations qui sont au cœur de l’étude juive que la morale écrite cesse d’être lettre morte.
 
Faire de la morale  une dialectique, mettre la morale au travail, c’est en quelque sorte se sortir de l’abstraction stérile et de  la bien pensance.
Les commentaires, l’analyse, la remise en question  mettent naturellement la morale au présent,  la rendent apte à servir l’action en la réactualisant, en la rendant présente..

La « prise de risque » que constitue l’interrogation des textes n’exige pas encore de moi que je sois un être moral. Faire de la morale  une dialectique, mettre la morale au travail, c’est en quelque sorte se sortir de l’abstraction stérile et de  la bien pensance. A l’intérieur du débat moral, l’homme nourrit déjà son action, est déjà dans l’action.

Ainsi que le dit la michna toujours dans les Maximes : «  Quatre genres d’hommes vont dans la maison d’étude : qui s’y rend mais ne fait pas…qui fait mais n’y va pas…qui s’y rend et fait…qui n’y va pas et ne fait pas. »

Le choix du verbe faire (ossé) comme synonyme d’étudier n’est pas fortuite. L’étude  est du point de vue morale l’action première, le principe premier, mitoyenne du théorique et du concret. C’est peut-être le sens de la réponse talmudique (Baba Kama 16b) : « L’étude de la Thora est plus importante que les bonnes actions, parce qu’elle  mène aux bonnes actions. »

L’étude, c’est-à-dire le questionnement dynamique, le refus du confort intellectuel est le moyen d’amener celui qui n’agit pas encore à l’action présente. Cette action est l’objectif : «  Fais plus que tu n’étudies. » (Maximes des Pères, Chapitre 6, michna 5) mais le faire ne s’origine pour l’homme imparfait que dans le l’étude.
Plus encore, si l’action ne se réduit qu’à agir pour agir, elle peut me couper de la conscience qui lui est nécessaire. L’action, son utilitarisme et son urgence, si elle n’est pas interrogée peut couper mon moi agissant de mon moi profond.

Malgré tout, si l’action morale prime sur tout c’est pour nous prémunir de la tentation de mettre l’idéal moral partout et ce avant même qu’il puisse atteindre ses conditions de réalisation. Les « bons sentiments » -le moralisme-  ne sont pas encore la morale en acte et réelle. Les « belles âmes » jugent, condamnent, théorisent, mais n’agissent pas.

L’une des raisons pour lesquelles chaque  Maxime des Pères est  rapportée  non pas comme maxime universelle anonyme, mais au nom d’un ou plusieurs maîtres, c’est pour nous dire qu’elle est avant tout le résultat d’une  expérience concrète, d’un vécu, et que pour cela elle est, au sens le plus noble du terme : «  discutable ».  Mais la discuter, c’est justement la rendre agissante, c’est déjà la mettre au présent.


 
 


A PROPOS DE L'AUTEUR
le rabbin Elie EBIDIA
Elie EBIDIA est titulaire d'un CAPES de Lettres et d'un Doctorat en Cinématographie. Il enseigne la Philosophie dans les lycées et au Séminaire Rabbinique de France et donne de nombreuses conférences sur la Pensée Juive. Il est l'auteur, aux Editions Tashma, d'un suspense talmudique, "Mission secrète au Palais des Ombres".
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