Supposons que vous      ayez vendu une grande quantité de marchandises à un client.      Vous vous apercevez, une semaine plus tard, que ces marchandises contiennent      un défaut caché. Avez-vous l'obligation de révéler      ce défaut, même si le client n'est pas au courant ? Ou bien êtes-vous      en droit de garder le silence, et éviter ainsi les pertes que vous      causerait la reprise de ces produits ?
 
 
 
LE VICE CACHE
 
Malgré la clarté et la simplicité de ces enjeux moraux, les médias rendent régulièrement compte de cas où de grandes sociétés ne révèlent pas les défauts observés dans les produits qu'elles ont fabriqué.
Ce problème éthique    se pose souvent aux commerçants et aux fabricants. À quel niveau    de gravité les défauts latents dans des marchandises doivent-ils    être révélés ? Le problème est encore plus    angoissant quand le défaut est découvert par le vendeur après    livraison des marchandises. Si le vendeur révèle le défaut,    il peut suffire qu'il verse des ristournes pour le compenser, mais il peut aussi    arriver qu'il lui faille rembourser la marchandise en totalité. Dans    l'un et l'autre cas, il subira une perte. Si au contraire il ne le révèle    pas, il risque de devoir affronter des procès et même la perte    de sa réputation et de sa crédibilité. Et surtout, même    si l'acheteur renonce à son droit de réclamer des réparations,    il subsistera sur le vendeur le fardeau moral d'avoir encaissé de l'argent    pour des marchandises potentiellement imparfaites.
Cependant, malgré    la clarté et la simplicité de ces enjeux moraux, les médias    rendent régulièrement compte de cas où de grandes sociétés    ne révèlent pas les défauts observés dans les produits    qu'elles ont fabriqués.
Les fabricants de cigarettes    aux Etats-Unis, par exemple, sont actuellement accusés d'avoir dissimulé    des informations sur l'accoutumance créée par la nicotine. Dans    beaucoup de cas, les industriels qui ont à affronter ce problème    espèrent qu'aucun ou sinon très peu de leurs clients se donneront    le mal de les traduire en justice, ou que les procès s'éterniseront.    Dans les deux cas, ils tablent sur le fait que cela leur coûtera moins    cher que de devoir rappeler les marchandises. D'une manière générale,    les défauts latents ne sont admis que sous la pression de consommateurs    ou d'organisations spécialisées.
C'est à ce problème    qu'a été confronté Fred Worms, un industriel juif, au début    de sa carrière en Angleterre. Le premier grand contrat conclu par son    entreprise l'avait été avec la Ford Motor Company pour la fourniture    de rétroviseurs de camions. La caractéristique nouvelle de ces    rétroviseurs de camions, à cette époque lointaine de l'immédiat    après-guerre, était leur forme. Ils étaient formés    d'une pièce de métal ronde assujettie à un bras pivotant,    sur laquelle un morceau de verre réfléchissant était retenu    par un anneau de caoutchouc. L'avantage du modèle était que l'on    pouvait facilement remplacer le verre du rétroviseur s'il était    endommagé.
Cependant, après    livraison des rétroviseurs, l'entreprise découvrit que le soufre    contenu dans les anneaux de caoutchouc attaquait le tain du rétroviseur,    transformant ainsi cet accessoire en un simple morceau de verre.
Fred Worms était placé devant un choix simple. Il pouvait ne rien    faire et s'en tenir aux résultats annoncés par les propres laboratoires    de Ford, lesquels n'avaient détecté aucun défaut. Ou il    pouvait révéler le défaut. C'est ce qu'il décida    finalement de faire, mais au prix d'une perte importante causée par le    retour de la marchandise et le remplacement de toutes les pièces défectueuses    déjà vendues.
 
LA RESPONSABILITE EXCLUSIVE    DU VENDEUR
 
 
On notera que cette législation contredit le principe largement accepté de : 'A l'acheteur de prendre garde !'
Cette décision était    tout à fait conforme à la halakha. Le vendeur est tenu de révéler    tous les défauts venus à sa connaissance. Même s'il n'en    a pas eu connaissance lors de vente, mais seulement après ; ou même    s'il n'en a jamais découvert mais qu'ils l'ont été par    l'acheteur, il doit rembourser l'argent, et la vente peut être annulée.    Si l'acheteur n'accepte pas une réduction ou un remboursement partiel,    le vendeur peut être forcé d'annuler la vente.
Il n'est pas nécessaire    pour que soit résiliée une telle vente, appelée méka'h    ta'out dans la loi juive, qu'il y ait eu intention frauduleuse de la part    du vendeur, ni qu'il ait proposé une garantie à l'acheteur. Celui-ci    est implicitement garanti contre tous défauts dans les marchandises qu'il    achète.
On notera que cette législation    contredit le principe largement accepté de : " À l'acheteur    de prendre garde ! " Les règles en pratique dans les rapports    entre partenaires commerciaux s'appuyent sur la supposition - totalement irréaliste    - que l'acheteur et le vendeur connaissent l'un comme l'autre les particularités    de la marchandise, de telle sorte que l'acheteur doit assumer la responsabilité    de tout ce qu'il achète.
Mais les développements    actuels de la théorie économique présentés par G.    A. Ackerlof s'efforcent de prendre en compte une réalité que la    halakha reconnaît depuis des siècles. Le vendeur connaît    généralement mieux ses marchandises que l'acheteur, et il se porte    ainsi responsable de leur qualité. Et assumer cette responsabilité    peut revenir cher.
(Traduit de l'anglais par    Jacques KOHN)
Dorothy Zegart a collaboré    au Clear Profit Journal, édité par le Centre pour l'éthique    dans les affaires et pour la responsabilité sociale.
Traduction et adaptation de Jacques KOHN