" Titanic !"
Ce mot est, en lui-même, bien plus qu'un simple nom : c'est tout un
  chapitre, sinon un livre entier. Il évoque quelque chose de colossal,
  de gigantesque, d'écrasant, de presque surhumain. Et ce sont précisément
  ces idées de grandeur qu'avaient en tête les armateurs en lançant
  cet énorme transatlantique. Le "Titanic" était le plus
  grand paquebot jamais construit : une jauge de 46 329 tonnes et une capacité de
  2000 passagers. Ses constructeurs mettaient l'accent sur sa solidité et
  ils s'en vantaient avec une assurance qui n'avait d'égale que la taille
  du bâtiment : "C'est un bateau que Dieu lui-même ne pourrait
  pas faire sombrer".
Le monde allait bientôt constater qu'il en allait différemment.
  Une centaine de milliers de curieux affluèrent à Belfast, en
  Irlande, le 3 Avril 1912 pour assister au départ du voyage inaugural
  du "Titanic", et quelques jours plus tard, ils étaient des
  millions à apprendre le désastre qui devait plus tard entrer
  dans la légende de l'histoire mondiale. Les récits abondent sur
  l'héroïsme, les sacrifices, les tragédies qui devaient marquer
  cette nuit fatale, alors que le "Titanic"coulait, après avoir
  heurté un iceberg à double arête, dans les eaux glacées
  de l'Atlantique Nord. Je n'avais jamais entendu une "histoire juive" ayant
  un lien quelconque avec le "Titanic", aussi étais-je sceptique
  lorsque Mme Alyssa Hershkop de Beit Shemesh me dit en connaître une extraordinaire.
Cependant, en faisant quelques recherches et en interrogeant
    des descendants des passagers de cette traversée, j'eus la preuve qu'elle avait raison.
  Un événement remarquable, ayant un arrière-plan juif,
  avait bel et bien eu lieu au cours de cette traversée fatale. Et l'émotion
  qui se dégage de cette histoire possède réellement une
  dimension "titanesque".
Je suis reconnaissant à Gilbert et Roberta Binder et à Marie
  Aks de Virginia Beach (Virginia) de m'avoir fourni des documents et des renseignements
  personnels sur cette histoire.
En 1910, M.Sam Aks, de Turek, en Pologne, émigra en Angleterre où il épousa
  Leah Rosen. Ils vécurent quelque temps à Londres après
  leur mariage, puis décidèrent de partir pour l'Amérique
  qui offrait de meilleures perspectives de travail. Ils fixèrent leur
  choix sur Norfolk, en Virginie.
Leah attendait alors son premier enfant et ses parents étaient persuadés
  qu'il n'était pas prudent qu'elle entreprenne, dans son état,
  un voyage en mer aussi pénible. Ils pensaient que c'était trop
  fatigant pour elle et dangereux pour l'enfant à naître. Il fut
  donc décidé que Sam partirait seul , trouverait une maison à Norfolk,
  et que Leah le rejoindrait avec le bébé, quelques mois après
  sa naissance.
Les journaux et les médias de l'époque ne cessaient de parler
  de ce gigantesque et luxueux paquebot le "Titanic", qui devait entreprendre
  son premier voyage au départ de Southampton, en Angleterre, en direction
  de New-York, en Avril 1912. La "White Star Line", la compagnie propriétaire
  du "Titanic", affirmait avec assurance que son paquebot de luxe était
  d'une sécurité à toute épreuve.
Le 10 Avril Leah Aks et son bébé, ainsi que 912 autres passagers,
  embarquèrent en grande pompe à Southampton accompagnés
  d'une fanfare, et d'un joyeux tintamarre. Leah et son bébé voyageaient
  dans les cabines de troisième classe de l'entrepont, en compagnie de
  nombreux autres émigrants à destination de l'Amérique.
  Les gens aisés de la bonne société occupaient les luxueuses
  cabines de première classe. D'autres passagers embarquèrent encore
  dans d'autres ports avant que le "Titanic" n'aborde sa traversée
  de l'Océan.
Quatre jours plus tard, le 14 Avril, peu après minuit, alors que le
  bateau se trouvait à 150 kilomètres au sud du Grand Banc de Terre-Neuve,
  il heurta un iceberg qui se dressait à 30 mètres au-dessus du
  pont et qui, compte-tenu des 90% de hauteur immergée, formait littéralement
  une montagne de glace de 300 mètres de haut. Ses arêtes massives
  et coupantes comme des lames de couteau perforèrent et entaillèrent,
  sous l'eau, la coque du paquebot sur une longueur de 75 mètres. Vingt
  minutes plus tard, après avoir consulté l'ingénieur qui
  avait conçu le bateau, Thomas Andrews, le capitaine Edward Smith comprit
  que le paquebot aurait totalement coulé dans deux heures. Tous les passagers
  risquaient de mourir, à moins qu'ils ne prennent place dans des canots
  de sauvetage et ne soient recueillis par d'autres bateaux passant au large.
Bien qu'il y ait à bord 2200 passagers et membres d'équipage, il n'y avait que 1178 places dans les canots de sauvetage.
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il n'y avait pas assez
  de place pour tous les passagers dans les canots de sauvetage. Bien qu'il y
  ait à bord 2200 passagers et membres d'équipage, il n'y avait
  que 1178 places dans les canots de sauvetage. Plus d'un millier de personnes
  allaient mourir. On reste confondu par une telle imprévoyance en cas
  de naufrage. Comme le bateau commençait à s'enfoncer, une panique
  indescriptible s'empara des passagers. Le capitaine et l'équipage donnèrent
  l'ordre de sauver en priorité les femmes et les enfants. 
A l'étage des cabines de troisième classe, on ordonna aux femmes
  de se regrouper à l'avant du bateau tandis que les hommes devaient se
  rendre à l'arrière. Leah Aks tenant son fils Frank Philip (Ephraïm
  Fishel) dans ses bras essaya de sortir sur le pont, mais la grille d'accès
  au pont se bloqua et personne ne put sortir. Elle se tenait pressée
  contre la grille et hurlant à l'aide. Un marin la vit avec son bébé dans
  les bras ; il se hissa au-dessus de la grille et la souleva, elle et l'enfant,
  afin qu'elle puisse courir sur le pont où l'on embarquait les femmes
  et les enfants dans les embarcations de sauvetage. (La plupart des passagers
  de troisième classe ne purent pas sortir et 75% d'entre eux périrent
  noyés. Les passagers de première classe s'en tirèrent
  mieux avec seulement 40% de disparus).
Leah se précipita sur le pont avec son enfant et attendit près
  du bastingage, essayant de se mettre dans la file de ceux qui attendaient d'être
  sauvés. Il faisait un froid glacial. Les gens poussaient et se bousculaient
  de toutes leurs forces pour essayer de monter dans les canots, tandis que,
  beaucoup plus bas, l'eau pénétrait à grand fracas dans
  les trous béants de la coque, inondant le fond du bateau.
Tandis que Leah se tenait sur le pont, l'une des passagères les plus
  riches se trouvant à bord, lady Madeleine Astor, la vit serrant son
  bébé dans ses bras. Lady Astor, elle-même enceinte, enleva
  le châle somptueux qui l'enveloppait et le tendit à Leah en lui
  disant: "Couvrez bien votre bébé, il fait un tel froid ici".
  En claquant des dents, Leah se confondit en remerciements.
Pendant ce temps, un homme avait réussi à prendre place à bord
  d'un des canots prêts à être descendus dans la mer. Lorsque
  les stewards le virent, ils le firent descendre de force du canot et le rejetèrent
  sur le pont en criant que les femmes et les enfants devaient être sauvés
  les premiers. Cependant, l'homme réussit à monter à bord
  d'un autre canot et, là encore, les stewards le virent et se battirent
  avec lui pour le faire redescendre en répétant que la priorité devait être
  donnée aux femmes et aux enfants.
"Vous dites que les femmes passent d'abord ! Vous dites que les enfants passent d'abord! Eh bien, vous allez voir!" Et il arracha le bébé des bras de Leah et le précipita par-dessus bord.
  De retour sur le pont, l'homme vit Leah et le bébé enveloppé dans
  le châle. Il fulminait. Ses yeux lançaient des éclairs
  tandis qu'il arpentait le pont en proie à une véritable fureur.
  Dans un moment de folie, il se précipita sur Leah en hurlant "Vous
  dites que les femmes passent d'abord ! Vous dites que les enfants passent d'abord!
  Eh bien, vous allez voir!" Et il arracha le bébé des bras
  de Leah et le précipita par-dessus bord. 
Leah se mit à hurler en appelant son enfant. Les hommes se jetèrent
  sur ce dément, mais il n'y avait plus rien à faire. Tout le monde
  criait et se lamentait, et c'était maintenant le tour de Leah de prendre
  place à bord d'un canot." Je ne monterai pas sans mon bébé" criait-elle.
  Mais les officiers lui dirent qu'elle devait maintenant sauver sa propre vie,
  et qu'il ne servait à rien de rester à bord du bateau qui coulait.
  Les femmes qui l'entouraient essayaient de la calmer, mais Leah hurlait toujours
  de manière hystérique tandis qu'on l'installait dans le canot
  que l'on mettait maintenant à l'eau. 
Les canots dérivèrent pendant trois heures avant qu'un paquebot
  de la Cunard, le "Carpathia" ne vienne sauver ceux qui avaient eu
  la chance de pouvoir quitter le "Titanic". Il n'y eut que 705 survivants,
  et 1523 passagers périrent. 
Deux jours plus tard, alors que Leah Aks, minée par le chagrin, arpentait
  le pont du "Carpathia", elle vit une femme tenant un bébé dans
  ses bras. L'enfant fit un mouvement vers Leah. Elle le reconnut. Elle hurla: "C'est
  mon bébé! C'est mon enfant".
La femme qui tenait l'enfant, Mrs Elizabeth Ramell Nye, était vêtue
  d'une longue robe noire brodée d'une grande croix. "Non, ce n'est
  pas vrai" insista-t-elle. " Cet enfant m'a été confié".
  (Il pourrait s'agir, selon d'autres témoins, d'Aryene del Carlo, une
  Italienne).
Une dispute violente s'ensuivit, et Mrs Nye affirma que, pendant
    qu'elle se trouvait à bord du canot, un bébé lui était littéralement
  tombé dans les bras. Elle prenait cela comme un signe du Ciel et se
  sentait maintenant responsable de l'enfant jusqu'à la fin de ses jours. 
Les gens commençaient à prendre position dans cette dispute
  et l'on dut bientôt faire appel au capitaine du "Carpathia",
  Arthur H.Rostron, pour trancher la question. Leah était secouée
  de sanglots hystériques, tandis que Mrs Nye défendait sa position.
  Il n'était pas question qu'on lui retire l'enfant.
Lorsque le capitaine Rostron arriva et entendit les arguments
    des deux parties, il dit aux deux femmes de le suivre dans sa cabine où il allait réfléchir
  avant de prendre une décision.
"Je peux prouver que c'est mon enfant".
Dans la cabine du capitaine, Leah s'écria tout à coup:"Je
  peux prouver que c'est mon enfant". La jeune Leah, âgée de
  18 ans, parla calmement et avec détermination: "Je suis juive,
  et mon fils a été circoncis!". En Europe, à l'époque,
  seuls les enfants juifs étaient circoncis.
Lorsque le capitaine Rostron vit que le bébé était sans
  l'ombre d'un doute circoncis, le jeune Ephraïm Fishel, âgé de
  10 mois, fut rendu à sa mère. Quelques jours plus tard, le "Carpathia" débarquait
  tous les survivants à New-York.
Frank Philip Aks grandit au sein de sa famille juive légitime. Il se
  maria et eut des enfants et des petits-enfants. Frank mourut en 1991 à l'âge
  de 80 ans. Sa femme, Marie, m'a confié récemment qu'étant
  jeune, il faisait plusieurs kilomètres chaque Chabbat pour prier dans
  la synagogue orthodoxe de Norfolk, connue sous le nom de "Cumberland Street
  Shul".
Après les évènements tragiques de cette traversée
  maudite, Leah éprouvait une telle reconnaissance envers le capitaine
  Rostron et son équipage que, des années plus tard, lorsqu'elle
  mit au monde une fille, elle l'appela Sarah Carpathia Aks. Par une ironie du
  sort incroyable, il y eut une certaine confusion au secrétariat de l'hôpital
  et l'enfant fut enregistrée sous le nom de Sarah Titanic Aks !
Traduction et adaptation de Monique SIAC