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Enfanter sans limites : enjeu de vie ou enjeu de mort ?

Le dix-sept janvier 2005, une roumaine de 67 ans a donné naissance à un bébé. Plus que la question de l’âge, ce sont plutôt le choix délibéré de la mono-maternité, le rapport au progrès technique et la structuration qu’il imprime à la société qui se trouvent interrogés.

Le dix-sept janvier dernier, la presse internationale annonçait à grand bruit un nouveau record d’âge atteint dans le cadre de la procréation par insémination artificielle. Une femme de soixante-sept ans venait de mettre une petite fille au monde en Roumanie. Un certain nombre de questions éthiques furent immédiatement soulevées par les observateurs de tous pays. La préoccupation principale semblait porter sur l’âge de la maman, sur son espérance de vie et sur ses capacités à élever sereinement cette enfant.

Beaucoup se posent évidemment la question de savoir quelle est sur ce type de situation, la position éthique du judaïsme c'est-à-dire, in fine, de la halacha ?

Les lignes qui suivent tenteront donc de développer succinctement une analyse pertinente de ce type de situations à partir de quelques repères posés par les sages du Talmud et de la tradition. Cet article ne traite cependant pas de l’insémination artificielle dans son ensemble. Il s’attache à mettre en valeur les principales divergences de l’analyse éthique de la halacha sur un cas aussi particulier que celui envisagé, par rapport à l’esprit ambiant de la culture scientifique.

Dans le cadre de cette réflexion, la démarche la plus importante consiste à reposer les questions adéquates tout en écartant celles qui, bien que mises en exergue, ne relèvent pas pour les sages, d’un questionnement éthique pertinent.
Ainsi de la question de l’âge : la Torah ne le conçoit pas comme une limite à la procréation par lui-même. On montrera que dans la vision halachique du monde, ce sont plutôt le choix délibéré de la mono-maternité, le rapport au progrès technique et la structuration qu’il imprime à la société qui se trouvent interrogés.
 

Il n’y a pas d’âge pour procréer

Le fait qu’Abraham et Sarah donnèrent naissance à Isaac aux âges de quatre-vingt-dix et cent ans respectivement, pourrait être considéré comme insuffisant pour poser une philosophie de la procréation à tout âge, de par le caractère manifestement miraculeux de l’évènement. Dieu annonce que l’impossible naturel se produira alors que Sarah s’en amuse elle-même. Au point que le nom de son patriarche de fils portera la marque de cet étonnement à tout jamais.

D’autres sources attestent cependant de l’absence de limite d’âge pour réaliser le premier et le plus fondamental des commandements de Dieu à l’homme : procréer. Ainsi, le roi Salomon naquit alors que son père le roi David, fondateur de la maison royale d’Israël, était âgé de cinquante sept ans. Son ancêtre Boaz avait lui-même engendré Oved au soir de sa vie, à plus de quatre vingt ans.
D’une part, l’âge n’est pas une limite en tant que tel. D’autre part, parce que l’homme n’est maître ni de son destin ni de celui d’autrui.
De même le Talmud rapporte-t-il (Traité Berachot 10a) que Ezéchias, l’un des rois les plus marquants d’Israël, s’était longtemps refusé à avoir des enfants par ce que la prophétie lui avait révélé que l’un de ses descendants, le roi Manassé, éloignerait le peuple de Dieu et l’égarerait moralement. En guise d’avertissement, il tomba malade au point de frôler la mort. Le prophète lui expliqua alors que son devoir de procréation ne pouvait souffrir de son jugement sur l’avenir de sa descendance. Celle-ci disposait d’un libre arbitre et d’un rapport direct au message divin dont la dimension dépassait ce que la prophétie pouvait lui révéler. Ezéchias eut effectivement deux fils moins de quinze ans avant sa mort.

De fait, le Talmud s’exprime clairement sur cette question : Rabbi Yehoshoua affirme : « si un homme était marié dans sa jeunesse, il devra se marier dans sa vieillesse ; s’il a eu des enfants dans sa jeunesse, il en aura encore dans sa vieillesse car il est écrit : « le matin sème ta semence et le soir, ne baisse pas les bras, car tu ne sais pas lequel sera un homme bien, celui-ci ou celui-là, à moins que les deux ne soient des hommes biens (Ecclésiaste, 11/6) »(Traité Yebamot 62b) ». C’est dans cet esprit que l’homme conserve son devoir de procréation même lorsqu’il s’est dégagé de ses obligations minimales sur ce plan (un garçon et une fille selon la halacha). C’est aussi pour cette raison qu’un homme qui se remarie tardivement doit, même s’il est déjà père de famille accompli, préférer une femme encore capable de procréer à une autre qui ne le serait pas (dans la mesure où sa démarche ne serait pas porteuse d’autres aspects pervers).

Concernant Boaz, le Midrash nous raconte même qu’il eu trente garçons et trente filles dans sa jeunesse. Tous moururent et seul Oved, grand-père du Roi David, lui resta pour descendance. Ceci, alors que décédé juste après sa conception, Boaz n’eut même pas l’occasion de connaître son illustre fils.

Une double idée semble donc s’imposer concernant le registre de l’âge par rapport à la procréation. D’une part, l’âge n’est pas une limite en tant que tel. D’autre part, parce que l’homme n’est maître ni de son destin ni de celui d’autrui (i.e. : de celui de sa descendance en particulier), sa décision et ses efforts pour avoir des enfants à n’importe quel stade de sa vie, ne doit pas subir l’influence de calculs qui relèveraient plus d’une perception sociale du moment que d’une relation saine à l’évènement même. On peut aisément prouver à partir d’autres sources, que ce raisonnement intègre néanmoins des critères de raison élémentaires en termes de santé et de capacités des parents et des enfants.

Les véritables questions éthiques que soulève la procréation assistée à un âge toujours plus avancé relève donc d’autres registres de la pensée. Le premier de ces registres renvoie au choix délibéré de la mono-maternité.

Le choix de la mono-maternité peut-il rester anodin ?

Dans une société au sein de laquelle le modèle de la famille monoparentale progresse rapidement, l’idée que le choix volontaire d’une structure familiale de ce type pose problème peut choquer. En effet, pourquoi et en quoi l’enfant né d’une mère inséminée hors mariage à partir d’un donneur étranger, serait-il moins bien fourni et accompagné dans la vie que l’enfant de parents divorcés qui évolue avec un seul de ses parents, ou l’orphelin dont le parent survivant aurait choisi de ne pas se remarier ?

Ce choix monoparental délibéré est pourtant remis en question par la philosophie qui sous-tend la halacha.

Pour comprendre les motifs de cette approche, il est nécessaire de revenir à la conception fondamentale qui anime l’idée et le devoir de procréation dans la Torah.

Pour la Torah, la vocation de l’humain consiste à faire émerger continuellement la présence divine au sein du monde créé, ce qu’on désigne par la « shehina ». Ceci vaut autant de manière ponctuelle : pour un individu donné à un moment précis, que sur le plan historique : le fait qu’une communauté humaine s’emploie à cette réalisation en permanence à travers l’histoire.

Ainsi, lorsque Dieu annonce son destin universel à Abraham à travers l’alliance réciproque qu’ils scellent ensemble pour les générations à venir, Il exprime son engagement de la manière suivante : « Et je réaliserai mon alliance entre toi et Moi et ta descendance après toi, pour toutes leurs générations en tant qu’alliance éternelle, afin d’être pour toi un Dieu et pour ta descendance après toi ». Les sages ont lu dans cette formulation, une condition sous-jacente à la perpétuation de l’alliance : une descendance est absolument nécessaire. Il s’agit donc d’un devoir. Dès lors, celui qui s’inscrit dans cette alliance endosse l’obligation et l’engagement de faire tout ce qui est en son pouvoir pour avoir une descendance.

C’est ainsi que celui qui se refuse à avoir des enfants est considéré comme responsable d’une déconnexion entre la présence divine et le peuple juif.

La lecture talmudique de ce verset de la Genèse va plus loin dans la responsabilisation spirituelle de l’individu par la procréation : « … afin d’être pour toi un Dieu et pour ta descendance après toi » : lorsque ta descendance poursuit ton chemin, la présence divine persiste ; lorsque ta descendance ne poursuit pas ta voie, auprès de qui résiderait-t-elle ? Sur les bois et les pierres ?! » (Traité Yebamot, 63b).

Non seulement la décision d’avoir des enfants relève d’un commandement plutôt que du seul libre arbitre mais aussi, l’adhésion à ce commandement fonde la relation la plus générique du juif à Dieu, à travers sa responsabilité individuelle et collective.

Les tossaphistes tranchent cette question en la simplifiant. Ils expliquent que l’engagement inhérent de chaque juif par rapport à la perpétuité de l’alliance porterait sur un nombre d’enfants supérieur au minimum requit par la halacha, à savoir, un garçon et une fille (Traité Baba Batra, 60b). Ce serait là l’origine de l’autorisation et même du devoir de procréer, intimé à des juifs persécutés et même empêchés d’accomplir la circoncision, acte fondamental de l’alliance pour un juif. Ceci, afin de perpétuer l’alliance dans le temps.
La connaissance de son père par l’enfant et sa capacité d’identification à lui dans l’esprit décrit, est totalement fondatrice de son identité juive.
Choisir d’avoir un enfant ne consiste donc pas dans le judaïsme, en une décision narcissique dont l’objectif déterminant serait la volonté d’une suite de soi. L’homme reste certes fait de chair et d’os et donc, doté de faiblesses. Son projet personnel est doté d’une légitimité dans la mesure où il s’inscrit dans un projet plus large qui le dépasse. La Torah lui propose un idéal de procréation tourné vers le sens ultime de la continuité. La continuité de l’alliance à travers une vocation humaine collective, qui dépasse son périmètre identitaire personnel sans le nier pour autant.

Par ailleurs, si la femme transmet la judéité, l’homme assume aux yeux de la Torah, la responsabilité de l’étude et de l’enseignement des textes et des contenus, ainsi que l’éducation à leur transformation en actes et en réalisations. C’est ce qui explique que le commandement de procréer incombe à l’homme en particulier. La femme apparaît comme le partenaire incontournable, pas seulement au niveau biologique mais aussi au niveau identitaire et éducationnel. Cependant, elle ne porte de responsabilité qu’indirecte et passive.

Par ailleurs, la connaissance de son père par l’enfant et sa capacité d’identification à lui dans l’esprit décrit, est totalement fondatrice de son identité juive. Ceci, même lorsque la vie l’a séparé de son père de manière précoce.

En d’autres termes, une femme restée seule avec un (ou plusieurs) enfant(s) peut sans aucun doute continuer de faire évoluer le projet initial du couple qui a donné naissance à cet enfant. Elle le fera dans la continuité de l’identité paternelle réelle, quelles que soient les difficultés que la vie lui demandera de surmonter.

Par contre, lorsqu’une femme forme le projet de mettre au monde un enfant dont le père serait absent à la racine et par définition, c'est-à-dire à priori, il y a tout lieu de penser que les décisionnaires s’opposeront à ce type de démarches, contraire à tout l’esprit de la procréation. En particulier, un tel enfant tombera dans la plupart des cas, dans le statut de « shtouki », (littéralement : celui dont l’identité - paternelle - est muette). Ce type d’enfant se heurtera à une limitation très forte des mariages qui lui seront autorisés à l’intérieur de la communauté (Traité Kidouchin, chapitre 4, Mishna 1, 2et 3).

Si par contre, un couple d’âge avancé et capable d’assumer telle démarche sous tous aspects, insistait pour poursuivre ses efforts de fécondation au-delà des références scientifiques existantes, il n’est pas évident que les décisionnaires s’y opposent forcément. C’est dans ce cas, l’ensemble d’une situation précise qui devra être examiné.

D’autres facteurs posent cependant problème dans une situation telle celle vécue la semaine passée en Roumanie. Le rapport de ce type d’aventure à la performance technologique et aux modèles de société qu’elle véhicule n’est effectivement pas dénué de déviations incontrôlables voir de perversion.

Le cycle « performance, médiatisation, banalisation »

Au-delà des considérations les plus profondes qui ont été présentées, il faut revenir sur l’esprit qui entoure l‘ensemble de la démarche et les acteurs qui y participent.

Visiblement, la médiatisation de l’exploit et l’auto-satisfaction de l’équipe traitante, liée au fait de repousser toujours plus les limites de la performance, semblent revêtir une importance capitale voir dominante, dès lors qu’on se situe au-delà de la volonté initiale de la mère.

Cette constatation en amène une autre. Une part non dite mais importante dans cette démarche, consiste en effet à couronner le progrès technique en tant que tel et in fine, en tant qu’architecte de l’évolution sociale la plus déterminante. Ce couronnement s’effectue sans distinguer les limites que devraient poser le rapport au sens, c'est-à-dire l’éthique, vis-à-vis du potentiel technologique de chaque démarche innovante dans le domaine de la recherche appliquée.

Au coeur d’une société dominée par le profit, lui-même porté par la performance technique que doit traduire une rentabilité humaine du capital continuellement mise en concurrence avec la rentabilité des facteurs techniques de production, l’articulation des modes de procréation innovants devrait être préservée de l’hyper médiatisation et de toute notion qui renvoie au marché.

La question fondamentale est simple : notre société est-elle ou non capable de dire non à des innovations technologiques à sa portée, parce qu’elle se sait incapable d’en gérer sainement les conséquences sociologiques ?

Le concept de renoncement conserve-t-il une place et une noblesse intouchables face à la protection et à la perpétuité des fondamentaux de la société humaine ?

Le souci d’une identité filiale personnelle et collective sans faille, peut-il survivre à la tentation de toutes les manipulations sur le vivant c'est-à-dire, à la prédominance du désir individuel et immédiat ?

Vaincre continuellement les limites matérielles d’une performance revient de fait, à banaliser la valeur morale et sociale de la performance. Cette banalisation nous mène - d’une manière le plus souvent non dite - à un rapport à l’objet fécondé proche du rapport que nous entretenons aux produits électroniques de grande consommation. La performance immédiate dont il est - provisoirement - porteur, constitue le cœur de sa valeur et de son essence. Dans le domaine du vivant, il s’avérera que le caractère objet secondarise totalement le caractère sujet.
C’est toute une société dominée par un paradigme technico-économique susceptible d’en désarticuler les repères identitaires les plus élémentaires qui se dessine ainsi sous nos yeux.
A titre d’exemple, c’est dans le même esprit de banalisation et sur le même type de bases technologiques que l’idée de fécondations destinées aux couples homosexuelles tend à faire son chemin dans les sociétés occidentales développées. L’air du temps est tel que la société n’envisage plus de résister très longtemps à ce que le progrès technique lui offre sous des formes de plus en plus variées, le long d’une voie parsemée de performances dont la multiplicité et la rapidité minimisent la portée philosophique et spirituelle. Sans même détailler ici l’opposition de la Torah au concept de famille fondée sur un couple homosexuelle, c’est d’abord l’idée que toute capacité technologique doive obligatoirement trouver un débouché, qui apparaît comme profondément perverse dans la domination actuelle du paradigme techno-économique de nos sociétés.

L’enjeu auquel nous sommes confrontés nous renvoie peut-être ainsi au test de la faute originelle d’Adam et Eve telle qu’envisagée par le judaïsme. L’ordre divin de ne pas toucher à l’arbre de la connaissance ne posait-il pas simplement un enjeu d’auto-limitation absolument et totalement vitale ? N’était-ce pas là la première suggestion selon laquelle une société qui ne saurait pas dire non à une partie de ce qui s’offre à elle, introduirait sa propre mort au coeur de son mode de développement, par le biais de ce qui apparaît au premier abord comme un fruit de vie et de jouissance ?

Cette mort n’est pas forcément immédiate et directe. Elle est plutôt structurelle. Il est intéressant de relever que selon la Torah, cet enjeu fondamental a été posé à l’humanité dès sa naissance, bien avant qu’il ne soit question de juifs ou de fils d’Abraham.

Quoi qu’il en soit, nous retiendrons que tuer le père à la racine revient, pour le judaïsme, à produire une enfant incapable de s’installer dans son identité spirituelle et que ce choix de mode opératoire peut être porteur de la déstructuration la plus violente pour la société des hommes.

 



A PROPOS DE L'AUTEUR
Hervé LANDAU
Ancien élève des Yeshivot Ets Haïm de Montreux, Mekor Haïm de Jérusalem, Slabodka de Bnei Brak, Hervé Landau est titulaire d’un DEA d’Economie Internationale de la Faculté de Grenoble II (Université Pierre Mendès France) et a exercé des fonctions de direction en banque et finance internationales. Il dispense de multiples cours hebdomadaires dans le domaine de l’éthique médicale dans la halacha et de la pensée juive, à Strasbourg et à Paris.
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