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Noa’h (Noé)

Genèse 6,9 à 11,32
Le mot « arche » signifiant en hébreu également « mot », l’épisode de la construction de l’arche par Noé peut être symboliquement interprété comme une invitation à repenser le rapport au langage.
Cette paracha comprend deux grands épisodes : le déluge et la tour de Babel.
L’Humanité se pervertit et le Créateur décide de détruire toute vie sur terre, à l’exception de Noé -homme juste et intègre- et des siens, qui trouveront refuge dans une arche, construite par Noé lui-même et qui embarquera des animaux de chaque espèce. Après un déluge destructeur inondant la Terre durant quarante jours, Noé et les siens repeuplent le monde. L’arc-en-ciel symbolise la réconciliation et l’alliance entre Dieu et l’Humanité.
Les Hommes, qui parlent tous la même langue, s’unissent dans un projet fou : construire une immense tour qui constitue un défi à la toute puissance du Créateur. Ce dernier démultiplie leurs langages, ce qui rend impossible la poursuite du projet.
La mort et la vie sont au pouvoir de la langue.
(Proverbes, 18,21)
« …la Terre était corrompue, toute créature ayant perverti sa voie… »
(Gen. 6,11)
 
La nature de la perversion de la génération du déluge fait l’objet de commentaires divers. Pour certains, la racine du mal est un mauvais usage du langage : violence verbale, vulgarité, non-respect de la parole donnée, médisance etc...

C’est l’idée que véhicule un commentaire original de Rabbi Israël Baal Chem Tov (1698-1780, fondateur du hassidisme) : Le texte biblique nous donne de nombreux détails quant aux dimensions de l’arche de Noé : «Construis-toi une arche (…) Et voici comment tu la feras : trois cent coudées seront la longueur de l’arche, cinquante coudées sa largeur et trente coudées sa hauteur » (Genèse, 6, 14-15. Une coudée représente environ 48 cm.)
La génération post-diluvienne doit redonner aux mots les dimensions du langage.
Le mot téva (arche), employé dans le verset cité, est polysémique : il signifie à la fois « arche » et « mot ». Ce qui permet au Baal Chem Tov une étonnante relecture de l’injonction divine à l’égard de Noé : « Construis-toi une arche » devient « Construis-toi un mot » : il faut que l’Humanité repense l’usage qu’elle fait des mots. Mais ce mot à reconstruire doit avoir des dimensions précises. En effet, la Torah rappelle que l’arche avait pour dimensions : 30, 300 et 50 (coudées). L’exégèse juive a sans cesse recours à l’équivalence lettres-chiffres (guématria). Traduites en lettres, les dimensions de l’arche renvoient aux lettres lamed, chin et noun, qui forment le mot « lachon », qui signifie « langage » (en hébreu biblique, lachon peut s’orthographier sans vav). Autrement dit, la génération post-diluvienne doit redonner aux mots les dimensions du langage !

Ainsi donc, la langue perverse et violente des contemporains de Noé doit céder la place à un usage mesuré des mots.

Cette transformation souhaitée de la langue perfide en une langue utilisée à bon escient rappelle l’anecdote suivante au sujet de Rabbi Samuel haNaguid (Espagne, XIe siècle) :
Ce dernier était devenu conseiller principal du Roi d’Espagne (alors musulmane), ce qui avait attisé la haine et la jalousie de certains. L’un d’entre eux ne manquait pas d’insulter copieusement le rabbin chaque matin, lorsque ce dernier passait devant sa boutique. Rabbi Samuel restait de marbre, indifférent à la calomnie et aux insultes. Mais un jour, l’homme insulta le sage sans remarquer que le roi en personne cheminait aux côtés de son conseiller. Choqué par de tels propos, le monarque ordonna à Rabbi Samuel de faire couper la langue de cet homme.

Rabbi Samuel, qui ne pouvait envisager une punition si cruelle, réfléchit à ce qui devait être la racine de toutes ces insultes : la jalousie d’un homme vivant dans des conditions économiques difficiles face à un juif si proche de la cour et si prospère. Rendant un bien pour un mal, il fit parvenir à cet homme une forte somme d’argent… L’homme, plus que surpris, ne tarissait plus d’éloges sur la bonté et la générosité du conseiller du roi.

Un jour, le roi et Rabbi Samuel, se promenant ensemble, croisèrent l’homme en question qui adressa des louanges au roi et à son conseiller.
- Ne t’avais-je pas ordonné de lui couper la langue ? interrogea le roi.
- Mais Majesté, c’est exactement ce que j’ai fait ! J’ai coupé sa langue de vipère et je l’ai remplacée par une langue douce et bienveillante ! ».

Transformer le rapport au langage de ses contemporains, telle était donc, la véritable mission de Noé.
 

Le poids des mots

La vigilance est donc de mise dès qu’on ouvre a bouche, comme l’enseignent les Maximes des Pères (1,17) : « Rabbi Shimon ben Gamliel disait : J’ai passé toute ma vie au milieu des sages et je n’ai rien trouvé de plus salutaire que le silence (…). Plus quelqu’un parle, plus il occasionne de péchés ».
Le Talmud déclare encore (traité Péssa’him, p.99a) « Le silence est appréciable chez les sages, et plus encore chez les sots ainsi qu’il est dit : ’Même le sot, s’il se tait, passe pour un sage’ (Proverbes, 17,28) ».

Pour les maîtres du Talmud, l’anatomie humaine elle-même est un rappel de la nécessaire vigilance à propos du langage : « L’homme possède deux oreilles mais une seule bouche pour qu’il n’oublie pas qu’il doit écouter bien plus qu’il ne parle » (cf. Talmud de Jérusalem, Bérakhot, 1,2). De plus, le double écran qui protège la langue (les lèvres et la dentition) devrait nous inciter à en limiter l’usage…(cf. Vayikra Raba, 17,4).
 

Un être doué de parole

L’extrême vigilance de la tradition rabbinique à l’égard du langage ne peut être comprise que si l’on a en mémoire le fait que la faculté de parler est considérée par la tradition juive comme le propre de l’Homme, c'est-à-dire comme la conséquence de sa création « à l’image de Dieu ». Pour désigner les différents règnes (minéral, végétal, animal et humain), l’hébreu désigne d’ailleurs le premier par le mot domem, qui signifie « muet » et le dernier (l’homme) par le mot médaber (« celui qui parle »).

Le verset évoquant la création de l’Homme, « (...)  l’Homme devint un être vivant » (Genèse 2,7) est ainsi traduit par le Targoum Onkelos (traduction araméenne du Pentateuque, accompagnant toujours le texte biblique dans les éditions classiques) : « Et l’Homme devint un esprit doué de parole (roua’h mémaléla) »

La paracha de Noa’h nous invite donc à réfléchir à l’usage de la langue, source de bien des maux mais aussi apanage exclusif de l’Humanité.

Le Midrash (Vayikra Raba, 33,1) raconte que Rabbi Yéhouda haNassi (138-217, compilateur de la Michna), extraordinaire pédagogue, invita un jour ses élèves à manger chez lui et leur servit de la langue, en ayant pris soin de mettre dans chaque assiette des morceaux de langue bien tendres et d’autres volontairement insuffisamment cuits… Discrètement, chaque élève mit de côté les morceaux trop durs et ne mangea que les langues tendres.
Le sage s’adressa ainsi à ses élèves : « Observez bien ce que vous avez fait durant le repas ! De même que vous avez laissé de côté les langues dures au profit des langues tendres, habituez vous à renoncer à tout langage dur au profit d’une langue douce et tendre… ». La mise en scène est à la hauteur de l’enjeu...
 

Loi orale et maîtrise du langage

La tradition juive distingue la Loi écrite (les cinq livres de la Torah et les dix-neuf autres livres bibliques des Prophètes et des Hagiographes) et la Loi orale (Talmud, Midrash, commentaires rabbiniques etc...). La seconde, transmise par les sages de génération en génération, éclaire et commente la première.
En hébreu, Loi orale se dit : Torah ché-béal pé, c'est-à-dire, littéralement, « La Torah qui est sur la bouche », car (avant sa mise par écrit avec la Michna) elle se transmettait au départ uniquement oralement, de maîtres à élèves.
Mais un grand maître hassidique, Rabbi Its’hak Méïr de Gour (Pologne, 1798-1866, disciple du Rabbi de Kotzk), proposait de traduire différemment cette expression, en remarquant que les mots béal-pé peuvent aussi signifier « celui qui maîtrise la bouche ». Pour ce sage, la Loi orale est donc  « la Torah de la maîtrise de la bouche », car tous ses enseignements visent à nous apprendre à utiliser le langage à bon escient...
*
Le mot « arche » signifiant en hébreu également « mot », l’épisode de la construction de l’arche par Noé peut être symboliquement interprété comme une invitation à repenser le rapport au langage qu’avaient perverti les hommes de la génération du déluge.
Le langage, qui est le propre de l’Homme, peut détruire tout autant qu’il bâtit. C’est pourquoi il doit être utilisé avec la plus grande vigilance.
 


A PROPOS DE L'AUTEUR
Le Rav Amitaï ALLALI
Commissaire Général des Eclaireuses Eclaireurs Israélites de France (EEIF), avant de devenir conseiller pédagogique pour l’enseignement juif à l’école George Leven. Il a enseigné à l'Institut Universitaire Rachi de Troyes et a dirigé la Section Normale des Etudes Juives de l'A.I.U. (Alliance Israélite Universelle). Il a occupé des postes rabbiniques dans les communautés de Bordeaux et de Vincennes et est aujourd’hui conférencier à l’association LEV. Il est l’auteur de « La Tsédaka : Lois et commentaires sur les dons aux pauvres de Maïmonide » paru aux éditions Lichma en 2006, « Les trompettes d'argent » (Octobre 2008), "Leçons de diét-éthique" (2ème trimestre 2009), et "Les prophètes, les enfants et les fous" (1er trimestre 2010).
  Liens vers les articles du même auteur (22 articles)


COMMENTAIRE(S) DE VISITEUR(S)  1
les élèves et la violence verbale - 8 Février 2011 - par ryczko liliane
"Construis-toi un mot"("une Arche")."Il faut que l'humanité repense l'usage qu'elle fait des mots".Ce texte est ,on ne peut plus,d'actualité.Pour s'en persuader,il suffit de traverser la cour de récréation d'un collège.Les insultes fusent,avant les coups.Qui pourrait arriver à convaincre tous ces gosses,pour la plupart élevés "sans Foi ni Loi",un:de la portée de leur parole,deux:que la violence est d'abord verbale.Ni les chefs d'établissement,ni les professeurs ,ni les conseillers professionnels d'éducation,ni les surveillants ,ni la communauté éducative,(comme son nom l'indique),n'arrivent à faire de"miracles".L'Instruction Nationale,depuis qu'elle est devenue Education Nationale ne semble plus en mesure de faire en sorte que ses professeurs enseignent dans de bonnes ambiancesde travail,au moins dans les collèges.
Infirmière en établissement scolaire,"off duty" depuisjuillet,j'ai été témoin, pendant des années ,de la souffrance des professeurs,à qui certains adressent parfois des paroles irrespectueuses, et du désarroi d'élèves blessés narcissiquement par les insultes de leurs pairs
Y-a-t-il une solution?Comment réussir à faire en sorte que nos chères petites têtes blondes ou brunes "repensent l'usage qu'elles font de leurs mots"?
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