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Unité et dualismeLe BIEN, ce n'est pas la matière ; ce n'est pas non plus l'ascèse, le détachement de la matière. C'est au contraire l'équilibre de ces deux éléments, unis dans l'accomplissement de la volonté du Créateur. Tel est, semble-t-il, le vrai message d'Israël.

Il n'est pas rare, à l'époque moderne, de lire sous la plume de penseurs non-juifs des apologies du judaïsme. Généralement, ces penseurs admirent la morale qui se dégage de la Torah, décrètent qu'elle est toujours très actuelle, mais ajoutent aussitôt que cependant les rites, les fondements matériels sur lesquels se base cette éthique sont désuets, et n'ont plus qu'un intérêt documentaire. L'on va même jusqu'à dire que la conception du monothéisme s'est développée et élargie, au cours de l'histoire du peuple juif : de particulariste qu'elle aurait été à l'époque du désert, elle serait devenue, nous dit-on, plus universaliste à l'époque prophétique.

LE DUALISME DANS LA PENSEE GRECQUE

Le devenir, l'écoulement du temps, pour la pensée grecque, est quelques chose de triste, de regrettable.

C'est évidemment - quelle que soit la force des arguments avancés - méconnaître le sens profond de la tradition d'Israël. Mais à quoi peut -on attribuer ce phénomène ?
Lorsque les portes des ghettos se sont ouvertes au dix-neuvième siècle , la culture occidentale, certes, a pénétré sein du monde juif ; mais l'inverse s'est également produit .
Les valeurs du judaïsme sont elles aussi tombées dans le domaine public .
Réservés jusque là, parmi les non juifs, au seul clergé de l 'église, elles sont devenues ainsi l'objet d'étude scientifique.
Alors s'est développé la science de l'exégèse biblique, et l'on est arrivé à ne plus rien comprendre à la spécificité de la pensée juive .

Comment en est-on arrivé là ? C'est que les savants, les spécialistes étudiaient la Torah, en se plaçant dans une perspective étrangère à la tradition juive. Il n'était pas possible de comprendre une doctrine essentiellement unitaire, à partir d'une conception dualiste. La civilisation occidentale est faite d'un double apport : pensée hellénique d'une part, - fondée sur le dualisme du sensible et de l'idée pure, réflexion chrétienne d'autre part - qui n'a pu, malgré son origine biblique, renier l'héritage grec qui avait apposé son sceau sur le berceau de la religion chrétienne. Vouloir comprendre l'intégralité de la pensée traditionnelle juive sous cette double optique ne pouvait évidemment aboutir à un résultat positif. De là, les erreurs de ceux qui essayent de juger, de comprendre le judaïsme. Il faudra maintenant délimiter les domaines, et bien montrer - dans la théorie d'abord, l'application ensuite - l'irréductible opposition entre la pensée occidentale, irrémédiablement dualiste, et la doctrine de la parfaite unité.

Théoriquement déjà, la ligne de démarcation entre ces deux conceptions du monde apparaît nettement.
La pensée grecque se veut, dès l'abord, pessimiste. Ainsi, ce n'est pas un hasard si l'un des premiers philosophes grecs, Héraclite, a caractérisé le devenir perpétuel du monde par la fameuse formule :" PANTA REI ", qui signifie "tout s'écoule". Il n'a pas imaginé, pour exprimer son idée, une notion de progrès, d'ascension ; au contraire, il a choisi comme image les eaux d'un fleuve qui s'écoulent en permanence, irréversiblement, de la source vers la mer. Le devenir, l'écoulement du temps, pour la pensée grecque, est quelques chose de triste, de regrettable.

DEGRADATION VS. ELEVATION

Le christianisme, lui aussi, recommande et approuve l'ascèse qui consiste à refuser le monde matériel pour ne vivre que dans les sphères spirituelles d'un monde éthéré.

La Torah, au contraire, envisage le même problème à la lumière d'un optimisme inébranlable. C'est l'image de l'échelle de Jacob qui est chargée de représenter le symbole de l'élévation constante de l'homme. Il n'est plus question ici de descente, de dégradation. Le devenir humain est caractérisé par une image d'ascension, de progrès, comme l'explique Ibn Ezra, à propos du verset relatif à l'échelle de Jacob (Genèse XXVIII, 12).

C'est à partir de cette différence de conception que vont s'élaborer les différences de structure entre la pensée grecque et la réflexion basée sur l'étude de la Torah. L'idée de création, telle qu'elle est impliquée dans Beréchith (la Genèse), représente ainsi quelque chose d'éminemment positif. Dieu, ayant créé le monde, considère que "c'est bien". C'est le fameux " KI TOV " qui vient caractériser chaque création. L'ensemble, "tout ce qu'Il avait fait" est finalement qualifié de " TOV MEOD ", d'excellent. Le Créateur, ayant achevé Son œuvre, la confie à l'homme, et ce dépôt de la nature entre les mains de l'homme fut l'objet d'une bénédiction divine :
" Croissez et multipliez, remplissez la terre, et dominez la ". (Genèse, I. 28).

Toute différente est l'optique de la philosophie grecque, dont s'inspirera par la suite la pensée chrétienne. Pour les Grecs, il n'y a pas à proprement parler de création. Le monde sensible, celui que nos sens perçoivent, est pour Platon l'image, l'imitation d'un monde intelligible. qui n'est accessible qu'à l'intelligence. Mais il ne s'agit que d'une image "dégradée", "Inférieure" ; le dualisme apparaît ici nettement, établissant la différence entre une première donnée de la réalité, inaccessible à nos sens - le monde des idées pures, monde éthéré et seul " bon " - et une seconde donnée de la réalité, à laquelle nous avons accès, le monde matériel et sensible, " mauvais " celui-là.

Le BIEN consistera donc à fuir la matière, à se rapprocher de l'idée pure. "L'évasion, écrit Platon, c'est de s'assimiler la divinité dans la mesure du possible". De même, Platon recommande la FUGUE, fuite du monde sensible. La matière, le monde physique est quelque chose de mauvais, auquel il faut échapper. Nous retrouvons ici la pensée chrétienne qui - contrairement à la philosophie grecque - reconnaît que la création est bonne, mais qui a attaché une si grande importance à la notion de chute irréparable de l'humanité. Le christianisme, lui aussi, recommande et approuve l'ascèse qui consiste à refuser le monde matériel pour ne vivre que dans les sphères spirituelles d'un monde éthéré. Il accepte ainsi le faux dualisme de la chair et de l'esprit.

LE MYTHE DE LA CAVERNE ET LE RELATIVISME DES IDEES

Une optique dualiste de la réalité ne peut admettre, que l'on attache la même considération à des lois qu'il ne faut pas prendre à la lettre et à des règles importantes, elles, car elles intéressent la conscience morale.

Il ne s'agit pas, bien entendu, d'opposer à cela un judaïsme qui ne serait que le reflet d'un bas matérialisme. Au contraire, la Torah sait opérer la synthèse des différents éléments. Elle professe que le monde physique est créé par la parole divine. Il y a donc accord, fusion même de l'Esprit et de la matière, comme l'affirme le verset suivant : "C'est par la parole de l'Eternel que les cieux furent créés ;par le souffle de sa bouche, toutes leurs milices" (Psaumes, XXXIII, 6). Le BIEN, ce n'est pas la matière ; ce n'est pas non plus l'ascèse, le détachement de la matière. C'est au contraire l'équilibre de ces deux éléments, unis dans l'accomplissement de la volonté du Créateur. Tel est, semble-t-il, le vrai message d'Israël.

Cette distinction fondamentale, dans le domaine théorique, permet de bien comprendre pourquoi, pratiquement, il est impossible à un penseur, nourri de culture grecque ou élevé dans la religion chrétienne de bien assimiler les différentes prescriptions de la Torah.
Comment peut-il être aussi important d'observer minutieusement les lois alimentaires que de ne pas voler ? Est-il possible de mettre sur le même plan: " Tu ne tueras point" et " Tu ne te vêtiras pas d'une étoffe composée de laine et de lin" ?
Et l'on pourrait multiplier les exemples. Une optique dualiste de la réalité ne peut admettre, bien naturellement, que l'on attache la même considération à des lois qu'il ne faut pas prendre à la lettre - nous dit-on - et à des règles importantes, elles, car elles intéressent la conscience morale. Le judaïsme ne peut admettre une telle distinction arbitraire.

Et il est notable - pour mieux comprendre la perspective dualiste de ces systèmes - que tour à tour les dirigeants de l'Eglise chrétienne, les apôtres du judaïsme libéral, sacrifiant sur l'autel de la pensée grecque, reprochèrent aux Pharisiens, tout d'abord, au judaïsme orthodoxe ensuite, de trop s'attacher à la lettre de la Loi. Il ne s'agit pas, au contraire, de négliger l'importance de l'esprit ; une pratique des mitsvoth (commandements), une récitation de prières, qui ne seraient pas accompagnées de la " kavanah" (ferveur) ne sauraient être valables. Cependant, l'expérience a prouvé que l'on ne sacrifie pas impunément le joug de la lettre ; et une doctrine qui se développerait, en faisant abstraction de ce joug, ne peut honnêtement vouloir se rattacher à une pensée essentiellement unitaire.

Ainsi, la tradition juive considère que D.ieu, ayant créé la nature, le monde physique, pour que l'homme puisse "le dominer", a joint à ce don un autre cadeau, d'essence spirituelle, lui, la Torah. La faute d'Adam n'a pas dressé irrémédiablement la nature contre l'homme. D.ieu a donné à l'homme une possibilité de rachat :l'observance des mitsvoth.
Grâce à elles, le juif a une action sur le monde d'une part, et d'autre part il donne ainsi un sens à l'histoire. Le juif sait qu'il doit obéir à son Créateur, et que par là il collabore à l'œuvre de la création. L'importance de l'action individuelle est aussi mise en relief. Souvent, la Torah insiste sur l'importance de l'action d'un personnage précis. De même qu'Abraham est l'unique fondateur du peuple juif, de même le peuple juif est un AM SEGOULAH, un peuple particulier au sein de l'humanité.

Ainsi, l'action des individus est inutile, puisque aussi bien, comme l'a dit Bergson, "il y a plus dans l'immobile que dans le mouvant, chez les Grecs

Or, nous retrouvons là une notion qu'une intelligence occidentale se refuse normalement à admettre. "Il n'y a de science que du général " a-t-on dit.
En se référant au mythe selon lequel la vie dans le monde sensible n'est qu'une ombre de la vie réelle dans le monde intelligible, dans le monde des idées pures, la pensée platonicienne use à nouveau de sa conception dualiste pour nier la valeur de l'action individuelle. En effet, la vérité relative étant le reflet de la Vérité absolue qui se trouve dans le monde des Idées, elle ne saurait être l'apanage d'un individu, ou même d'un peuple particulier. Ainsi, l'action des individus est inutile, puisque aussi bien, comme l'a dit Bergson, "il y a plus dans l'immobile que dans le mouvant, chez les Grecs ".
La conséquence en sera une attitude contemplative, où l'on essayera de comprendre le monde intelligible, accessible à l'intelligence, mais non à nos sens.

DOMINER LE MONDE MATERIEL

Le rôle du juif est de conquérir le monde sensible pour le mettre au service du Tout-Puissant.

Le dualisme de la pensée grecque conduit donc, nous l'avons vu, à une conception pessimiste du réel. Tout ce qui se rattache au monde sensible est dangereux et supect. Ainsi est consacrée une attitude qui consiste à diviser arbitrairement les forces qui régissent le monde en forces du bien d'une part, forces du mal par ailleurs. Cette distinction ouvre la voie à une dangereuse interprétation des données du monde sensible et même à l'irréductible opposition entre le royaume de D.ieu et le royaume de César.

Le judaïsme, lui, se refuse à pareil partage. Se basant sur sa vue unitaire du réel, il considère que D.ieu, ayant créé la matière pour l'homme, le rôle de l'homme est d'élever cette matière au service du Créateur. A cet égard, le Midrach rappelé par le Maharal (Nètsa'h Israël, ch. II) est significatif : " Au moment où D.ieu a remis les tables de la Loi à Moise (tables qui mesuraient 6 pouces de long et de large), D.ieu tenait deux pouces, Moïse tenait deux pouces de l'autre côté. Et les deux pouces du milieu servent à représenter le lien entre les enfants d'Israël (représentés par Moïse) et le Saint Béni soit-Il. Si les enfants d'Israël accomplissent la volonté de D.ieu, alors ils acquièrent l'espace entre les mains de Moïse et la partie des tables que tient l'Eternel."

Ainsi, le rôle du juif est de conquérir le monde sensible pour le mettre au service du Tout-Puissant. Il ne s'agit pas de considérer avec Platon que notre corps est un "tombeau pour l'âmes, que plus l'on en est loin, mieux cela vaut" (à ce sujet, l'étude du " Phédon " est très intéressante Platon y dit en substance que c'est un malheur pour l'âme d'être rivée au corps) ; il ne s'agit pas, avec le christianisme, de ne vivre qu'en vue d'un monde futur, qui n'est pas acquis par le mérite individuel, par l'action de chaque particulier, mais au moyen d'une grâce arbitrairement donnée.
Non le judaïsme, lui aussi, considère, comme le rappellent les "Pirké Avoth ", que ce monde-ci n'est qu'une antichambre pour le monde futur; mais l'on ajoute aussitôt: " Prépare toi dans l'antichambre, si tu veux pénétrer dans le salons" (Pirké Avoth, IV, 16). Aussi est mise en valeur l'action dans ce monde. C'est également ce que nous demande la Torah, quand elle nous dit : " Montre toi entier, parfait à l'égard de l'Eternel ton D.ieu" (Deutéronome, XVIII, 13).

Nous devons mettre toutes nos forces au service de l'Eternel, réalisant ainsi, dans la vie quotidienne, la doctrine de l'Unité. Alors, si nous Le servons, et L'aimons de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre pouvoirs alors seulement selon l'explication de nos Sages, nous serons les témoins que " l'Eternel est notre D.ieu, l'Eternel est Un".



A PROPOS DE L'AUTEUR
Lionel COHN
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