Tandis que Jacob se prépare à affronter héroïquement
  son frère Essav (qui cherche à le tuer), un combat étrange
l'oppose à quelqu'un de totalement inattendu :
  
    
        Jacob resta seul et un homme combattit avec lui jusqu'à l'aube. Il [l'homme]
            vit qu'il ne pouvait le vaincre et il le toucha à la hanche et la hanche
            de Jacob se luxa en combattant avec lui. Il [l'homme] dit : "Laisse-moi
            partir car le matin s'est levé". Il [Jacob] dit : "je ne te
            laisserai pas partir sauf si tu me bénis". Il [l'homme] lui dit
            : "Quel est ton nom"? Il dit : "Jacob". Il dit : "Ce
            n'est plus Jacob qu'on appellera encore ton nom mais Israël, car tu as
            combattu avec D.ieu, et avec les hommes tu as triomphé". Jacob
            demanda et dit : "Dis(-moi) je t'en prie, ton nom". Il dit : "Pourquoi
            donc demandes-tu mon nom"? Il le bénit là-bas. Jacob appela
            le nom de l'endroit Péniel [le visage de D.ieu], car j'ai vu D.ieu face à face
            et mon âme a été sauvée. Le soleil brilla pour lui
            alors qu'il passait par Péniel et il boitait à cause de sa hanche.
            C'est pourquoi les enfants d'Israël ne mangeront pas le nerf sciatique
            qui est sur l'articulation de la hanche jusqu'à ce jour, parce qu'il
            avait touché l'articulation de la hanche de Jacob, sur le nerf sciatique.
      [Genèse 32:25-33]
  
  Le texte semble délibérément énigmatique et contradictoire
  :
  
  On dit que Jacob est seul, mais si cela est vrai, comment un homme peut-il
  lutter contre lui-même? 
  
  Il vit qu'il ne pouvait le vaincre et il le toucha à la hanche. Qui
  est ce "il" et qui est ce "le"? Ce verset à lui
  seul, ne peut pas être compris. Ce n'est qu'en lisant le verset suivant
  que nous pouvons identifier les personnages, et comprendre de quoi il s'agit
  (crochets de notre traduction). Pourquoi y a-t-il autant de confusion? 
  Qui
  est l'adversaire de Jacob? 
  
  Il dit : "Quel est ton nom"? Il dit : "Jacob". L'adversaire
  ne sait-il même pas avec qui il lutte?
  
  Il dit : "Ce n'est plus Jacob qu'on appellera encore ton nom mais Israël,
  car tu as combattu avec les anges et avec les hommes tu as triomphé".
  L'adversaire qui, il y a quelques secondes, disait qu'il ne connaissait pas
  l'identité de son ennemi, déclare que Jacob a combattu avec D.ieu
  et a été victorieux dans son combat avec l'Homme!
  
  Jacob demanda et dit : 'raconte (-moi) je t'en prie, ton nom'. Pourquoi Jacob
  veut-il connaître l'identité de cette personne? 
Examinons ce passage soigneusement
    et tentons d'en décoder le contenu
  mystérieux et énigmatique :
  
  Jacob resta seul et un homme combattit avec lui jusqu'à l'aube.
Le problème est que si Jacob est vraiment seul, avec qui peut-il combattre?
  La réponse pourrait être..... personne! Jacob en réalité lutte
  contre lui-même. Cela expliquerait l'ambiguïté de ce passage.
  Cependant, si cette hypothèse est exacte, nous résolvons certes
  la difficulté du texte, mais nous soulevons un problème bien
  plus grand : Pourquoi un homme sain d'esprit lutterait-il contre lui-même?
  Une lecture plus attentive du texte peut nous donner quelques indices.
  
"
  L'homme" en question est appelé ish. Et nous trouvons un autre
  verset - bien moins énigmatique - dans lequel il est évident
  que 'ish' désigne clairement Jacob :
  
    L'homme [ish] s'enrichit
            beaucoup, énormément. Il posséda
            de nombreux troupeaux, des servantes, des serviteurs, des chameaux et des ânes.
            [Genèse 30:43]
  
  Le contexte est fascinant : Jacob a finalement réussi financièrement.
  Les bénédictions destinées à Essav que Jacob avait
  prises, se sont réalisées. Jacob l'a "fait". Il a achevé la
  métamorphose de l'homme de la tente (un étudiant de yeshiva,
  si vous préférez) en un entrepreneur couronné de succès.
  Toutefois Jacob lutte avec son succès. C'est une chose de prendre les
  bénédictions destinées à Essav, mais vivre avec
  les fruits de ces bénédictions, c'est une toute autre chose.
  Alors que Jacob se prépare à rencontrer son frère, il
  regarde toute la richesse qu'il a accumulée et il est inquiet. Il sépare
  tout ce qu'il possède et tous ceux qu'il aime en différents camps.
  Il se retrouve seul.
  
  Auparavant, le texte avait décrit Jacob comme étant seul lorsqu'il
  fuyait Essav. Il passa une nuit effrayante sous les étoiles et eut la
  vision de sa vie - l'échelle montant au ciel. A ce moment là,
  il n'avait même pas un endroit où reposer sa tête, et il
  dormit sur des pierres. Maintenant, Jacob revient comblé de richesse.
Néanmoins, il doit certainement se poser la question suivante : qui
  suis-je? Jacob, l'homme des tentes, ou Essav, l'homme des champs? Pendant que
  Jacob traverse la rivière et voit son reflet dans l'eau, il se questionne
  sur son identité. Commençait-il à ressembler à Essav?
  L'accomplissement des bénédictions volées l'a-t-il finalement
  transformé en Essav?
Il semblerait qu'Essav le pensait.
    La dernière fois qu'Essav est mentionné,
      il jurait de tuer son frère Jacob. Et quand ils se rencontrent, Essav
      est manifestement préparé pour la guerre :
  
          
        Jacob leva les yeux et vit, et voici Esaü venait, et avec lui quatre cents
      hommes. [Genèse 33:1]
  
Quand il voit l'abondance du camp
    de Jacob, Essav fait volte-face. Apparemment sa colère s'est dissipée. Plutôt que de faire la guerre,
  il demande à Jacob de voyager avec lui, ensemble. Cette proposition
  est pour le moins inattendue pour quelqu'un décidé à se
  venger. La colère d'Essav aurait dû être exacerbée
  en voyant la grande richesse de Jacob. Après tout, cette bénédiction
  de richesse était légitimement la sienne. Qu'est-ce qui a provoqué ce
  changement d'avis soudain chez Essav?
Essav a dû voir en Jacob quelque chose qu'il n'avait jamais vu auparavant.
  Essav a vu le "nouveau" Jacob, un homme riche, un homme qui avait
  apparemment abandonné sa quête du spirituel au profit de l'acquisition
  de biens matériels. Dans l'esprit d'Essav, Jacob était devenu
  Essav, et par conséquent, il n'avait plus de raison de détester
  son frère. Les barrières qui les avaient divisés avaient
  disparu; ils pouvaient donc maintenant s'allier. Essav pensait qu'il avait
  remporté une victoire idéologique, ce qui était beaucoup
  plus doux que n'importe quelle vengeance qu'il aurait pu accomplir.
C'était précisément la cause de la lutte intérieure
  de Jacob. Lui aussi, il avait vu en lui ce qu'Essav avait vu.
  ... et un homme combattit avec lui jusqu'à l'aube. Il [l'homme] vit
  qu'il ne pouvait le vaincre...
Toute la nuit, Jacob lutte contre
    son succès. Son moi spirituel et
  son moi matériel entrent en conflit lorsqu'il essaye de déterminer
  sa véritable identité. Mais Jacob est incapable de résoudre
  ce conflit.
  
    ... et il le toucha à la hanche et la hanche de Jacob se luxa en combattant
            avec lui... et il boitait à cause de sa hanche. C'est pourquoi les enfants
            d'Israël ne mangeront pas le nerf sciatique qui est sur l'articulation
            de la hanche jusqu'à ce jour, parce qu'il avait touché l'articulation
            de la hanche de Jacob, sur le nerf sciatique.
  
A l'issue de ce combat, le corps
    est touché, la réalité physique
  doit plier. Les lois, comme celle du nerf sciatique, "Guide Hanashé",
  créeront des frontières spirituelles à l'intérieur
  de l'expérience physique, rendant possible l'élévation
  du monde physique vers une sphère spirituelle.
C'est là, la mission de Jacob. Jacob pourrait ressembler à Essav,
  et en vérité, il n'est plus le même Jacob. Le nom même
  de Jacob - qui le définit par rapport à Essav - sera maintenant
  remplacé par le nom d'Israël, qui mentionne son rapport avec les
  mondes physique et spirituel.
  Maintenant nous pouvons comprendre pourquoi les Sages, presque unanimement,
  identifient l'homme contre qui Jacob a lutté comme étant "l'ange
  d'Essav". Malgré la complexité du passage, les Midrashim
  et commentaires le traitent comme si la signification était évidente,
  et sont relativement d'accord quant à l'identité de l'assaillant.
Quand les Sages disent que l'adversaire
    de Jacob était l'ange d'Essav,
  ils font référence au pouvoir d'Essav qui est en Jacob et contre
  lequel il luttait. Ce pouvoir que Jacob craint, a pris le contrôle de
  sa vie.
En effet, quand Essav invite Jacob à voyager
    avec lui, Jacob se soustrait
en disant :
  
      
        Il lui dit : "Mon maître sait que les enfants sont délicats,
            et les moutons et le bétail dépendent de moi; et (si) on les
      presse un seul jour, tout le troupeau mourra. [Genèse 33:13]
  
  Jacob explique que ses biens constituent un fardeau qui le ralentit, tout comme
    sa blessure à la cuisse le ralentit d'une autre façon. L'abondance
    matérielle avec laquelle il a été béni, est encombrante
    pour Jacob - c'est un fardeau qui l'empêche de faire de grands pas,
    de réaliser son potentiel spirituel.
  
    
        É
      saü retourna ce jour-là dans son chemin, vers Séîr.
          Jacob voyagea vers Souccot et se construisit pour lui une maison et pour son
          bétail, il fit des cabanes; c'est pourquoi on appelle le nom de l'endroit
      Souccot. [Genèse 33:16-17]
  
L'issue de la confrontation entre
    Jacob et Essav les mène dans deux
  directions différentes. Essav retourne chez lui, tandis que Jacob voyage
  vers Souccot. La destination de Jacob est appelée Souccot à cause
  des cabanes que Jacob a faites pour son bétail. Il est intéressant
  de noter qu'en cet endroit Jacob a aussi construit une maison, vraisemblablement
  pour sa famille. Alors pourquoi préférerait-il nommer cet endroit
  du nom des cabanes faites pour le bétail?
Le nom que portent ces cabanes, évoque bien sûr la fête
  de Souccot. On demande aux Juifs de quitter le confort de leurs maisons, et
  de vivre dans des cabanes "provisoires", pour se rappeler que le
  monde Physique est un monde provisoire. C'est ce qui traverse aussi l'esprit
  de Jacob.
Jacob reconnaît que l'abondance matérielle dont il a été béni,
  est transitoire. C'est simplement un moyen pour parvenir à un but. Après
  sa rencontre avec Essav, et après avoir tiré les conclusions
  de son existence matérielle, il nomme son premier arrêt Souccot,
  afin de nous faire passer ce message.
On nous dit que Jacob fait route
    sur Souccot, mais quel est son point de départ?
  D'où vient-il? Aussi étrange que cela puisse paraître,
  un Juif se dirige vers Souccot immédiatement après Yom Kippour.
  
    
  En essayant d'expliquer le concept du 'bouc émissaire' du jour de Kippour,
      Na'hmanide explique qu'en offrant ce sacrifice particulier, les Juifs soudoieraient "Samaél" afin
      de l'apaiser et de faciliter son témoignage devant la Cour Céleste
      (pour leur défense). [cf. Commentaires sur Vayikra, basés sur "Pirké Dé Rabbi
      Eliézer", Chap.45]. Qui est ce "Samaél"? Nul
      autre que l'ange d'Essav, celui que Jacob a combattu :
    
    "
      Il combattit avec lui", c'est Samaél, l'ange d'Ésaü qui
            voulait le (Jacob) tuer. [Midrash Tanhouma Vayishla'h, 8).
  
On peut ainsi en tirer un enseignement.
    Le jour de Kippour, chaque Juif doit lutter contre ce qu'il est ou ce qu'il
    est devenu. La Torah nous ordonne d'offrir
  un bouc émissaire le jour de Kippour, pour "donner son dû à Satan",
  si l'on peut s'exprimer ainsi. Quand Jacob rencontra Essav, Jacob lui aussi,
  lui donna des 'cadeaux'. Ces cadeaux vont servir de prototype pour le sacrifice
  annuel du jour de Kippour, qui est offert au Pouvoir d'Essav dans le monde.
Le zohar, apparemment conscient
    de ce lien, écrit que la confrontation
  entre Jacob et Essav a trouvé son issue à l'heure de Néîla,
  lorsque la prière concluant le Yom Kippour est récitée.
  [zohar VaYikra, Parashat Emor, p.100b]. A ce moment là, Jacob
  se met en route pour construire sa Soucca, sa demeure provisoire.
Si la confrontation entre Jacob
    et Essav a lieu le jour de Kippour, alors, par extension, la confrontation
    avec son adversaire anonyme a lieu la nuit
  précédente - le soir du Kol Nidré, la Veille
  de Yom Kippour. Toute cette nuit, Jacob a lutté contre le Essav qui est en lui. Etait-il
  toujours Jacob ou était-il devenu Essav? Est-ce que ses biens, et sa
  préoccupation pour les acquérir, l'ont changé? En prenant
  la bénédiction d'Essav, avait-t-il en fait pris la personnalité d'Essav?
  Au lever du jour, au moment où le Grand prêtre commençait
  le service dans le Temple, le combat devait être résolu.
Le zohar fournit de plus
amples détails :
  
    
        Et ils ont lutté : l'identité de l'ange était le Gardien
            d'Ésaü. Et qui est-il? Samaél. Et il est juste que la poussière
            de leurs pieds est montée au Trône Divin, car c'est
      la place du jugement. [zohar Béréshit 170a]
  
Le zohar comprend que le
    jugement a rempli l'atmosphère cette nuit
  là. L'Ange d'Essav serait-il capable de témoigner de l'innocence
  de Jacob, comme il pourrait le faire pour les générations futures
  des Juifs?
  
    
        ... Il [Jacob] dit : 'je ne te laisserai pas partir sauf
        si tu me bénis'.
      [Genèse 32:27]
  
Jacob veut la bénédiction. A la fin, il la reçoit.
Cette parasha se termine
    avec Jacob nommant l'endroit Péniel, car l'introspection
  de Jacob et sa lutte intérieure l'amènent "face à face" avec
  D.ieu. Nous apprenons ainsi que le véritable repentir, qui résulte
  d'une profonde introspection, conduit à une rencontre avec D.ieu.
  
    
  Rabbi Lévi a dit : "grand est le repentir, car il permet d'atteindre
          le Trône Céleste, comme il est dit: ' reviens, O Israël,
        jusqu'à l'Eternel ton D.ieu. '" [Yoma 86a]
  
C'est ce que Jacob ressent quand
il prend congé au matin :
  
      
        Le soleil brilla pour lui alors qu'il passait par Péniel et il boitait à cause
      de sa hanche. [Genèse 32:32]
  
  Jacob sort de cette confrontation en boitant, plus faible physiquement, mais
    spirituellement transformé et investi d'une mission. Maintenant il
    sait comment répondre aux défis qui l'attendent, aussi bien
    ceux de ce monde, que ceux de l'autre monde. Son identité ne serait
    plus définie ni déterminée par rapport à son
    frère Essav. Il est maintenant devenu Israël. Le physique et
    le spirituel ne sont plus en désaccord. Ensemble, ils accompagnent
    Jacob/Israël à chaque pas qu'il fait vers son destin, à une
    allure certes ralentie par la blessure physique, mais revigorée spirituellement.