Dans cette parasha, nous trouvons
les instructions données à Aaron
en ce qui concerne le service de Yom Kippour. En guise d'introduction à ce
service, on rappelle la mort des deux fils d'Aaron, Nadav et Avihou, établissant
ainsi un lien entre le service et leur disparition fatidique.
L'objectif de Yom Kippour est d'obtenir le pardon pour le peuple tout entier
:
Car en ce jour, Je vous pardonnerai, pour vous purifier de toutes vos fautes,
devant D-ieu vous serez purs. [Lévitique 16:30]
Comparativement à la nation tout entière, une attention spéciale
est accordée au Sanctuaire et aux Cohanim, les prêtres.
Il (le CohenGadol)
fera expiation pour le "Saint des Saints" et la
tente d'assignation; et il fera expiation pour l'autel et pour les prêtres
et pour tout le peuple de la communauté il fera expiation. [Lévitique
16:33]
Ainsi, le service est en partie
destiné à expier les fautes
des cohanim.
Auparavant, on nous a précisé qu'Aaron lui-même ne devait
pas entrer n'importe quand à l'intérieur du Saint des Saints,
mais à un moment précis, et selon un rituel bien codifié.
Alors que Nadav et Avihou étaient entrés dans le Sanctuaire et
s'étaient approchés de D-ieu dans un moment d'extase, Aaron reçoit
des instructions très précises sur la manière et les conditions
du service divin.
L'Eternel dit à Moïse : parle à Aaron ton frère et
qu'il ne vienne pas à tout moment dans le sanctuaire qui est au-delà du
rideau, en face du couvercle qui est sur l'arche et il ne mourra pas car J'apparaîtrai
dans un nuage sur le couvercle. [Lévitique 16:2]
La signification est claire : la
ligne de démarcation entre le service
divin et le service de soi-même, peut être extrêmement mince,
mais cette ligne peut faire la différence entre la vie et la mort.
COMPRENDRE YOM KIPPOUR
Afin de mieux comprendre cela, et par là même le service de Yom
Kippour, nous devons comprendre en quoi le comportement des enfants d'Aaron
leur a été fatal.
Le Shem MiShmouel, décrit la faute de Nadav et Avihou comme la conséquence
d'une passion et d'un amour pour D-ieu illimités mais aussi débridés.
Cette passion a été générée par les évènements
du huitième jour de l'inauguration du Tabernacle (voir parasha Shemini).
Le Talmud nous dit également que ce jour était particulièrement
aimé de D-ieu :
Il a été enseigné : en ce jour il y avait autant de joie
devant D-ieu, qu'au jour de la création du Ciel et de la Terre. [Meguila
10b]
Dans cette atmosphère de joie, et agissant sous l'émotion, dans
un moment d'extase, Nadav et Avihou s'approchèrent de D-ieu de façon
incorrecte et par conséquent moururent.
Le sérieux et l'austérité de Yom Kippour semblent contraster
avec l'extase de Nadav et Avihou. Le message est clair. Le danger d'une expérience
religieuse née de l'extase est d'essayer de créer une relation
qui n'est pas voulue par D-ieu.
Agir selon ses émotions, c'est rendre l'expérience subjective
et égoïste. Il s'agit alors d'une expérience religieuse
désirée par la personne et non par l'objet du service. Avec un
tel comportement, la personne risque de franchir la limite en créant
un dieu à son image plutôt que de manifester l'image de D-ieu
qui est en elle.
Cela ne veut pas dire que le Judaïsme ne reconnaît pas qu'un acte
religieux sincère puisse provenir d'une expérience extatique.
En effet, c'est possible. Nous désirons tous un rapport avec D-ieu animé par
la joie, mais une telle relation ne peut se développer qu'à partir
du désir de faire plaisir à D-ieu tel qu'Il nous l'a demandé,
(selon Ses modalités et non les nôtres).
L'AMOUR ET LA CRAINTE DE D-IEU
C'est la frontière entre "l'amour de D-ieu" et "la crainte
de D-ieu" dont parlent nos sages.
Ce n'est qu'après le service de Yom Kippour, au cours duquel nous suivons
les moindres détails des instructions divines, que nous pouvons établir
une relation avec D-ieu fondée sur l'amour. A l'époque du temple,
le service de Yom Kippour se terminait par un immense débordement de
joie :
Rabban Shimon ben
Gamliel a dit : Il n'y avait pas, en Israël, de
jours plus joyeux que le 15 Av et Yom Kippour. [Mishna Taanit 4:8]
Les sages nous rapportent que les
rues de Jérusalem étaient
tellement remplies de fidèles que le Grand Prêtre, le Cohen Gadol,
ne rentrait chez lui que plusieurs heures après la fin du Jeûne.
La plus grande manifestation de joie, Sim'hat béte hashoéva, était
célébrée une semaine après Yom Kippour.
On disait : celui qui n'a jamais vu "sim'hat béte hashoéva",
n'a jamais vu la joie de sa vie. [Mishna Souka 5:1]
La symbiose entre la crainte de
D-ieu, manifestée par l'observance
des moindres détails, et la célébration joyeuse de l'amour
de D-ieu est stigmatisée par cette fête.
Un autre personnage était lui aussi transporté par cette extase,
par ce sentiment de joie extrême généré par son
amour pour D-ieu : le Roi David (Samuel II 6:16). Mais David possédait
aussi un sens profond de "la crainte du Ciel", comme en témoigne
le Livre des Psaumes.
L'extase, la contemplation de Nadav
et Avihou, n'était pas compensée
par ce deuxième élément indispensable, équilibrant.
Voilà pourquoi, les instructions détaillées du service
de Yom Kippour (jour où la crainte de D-ieu était probablement
la plus ressentie), sont mentionnées juste après avoir évoqué leur
comportement.
L'encens qu'ils ont apporté est remplacé par l'encens offert
par Aaron, ce dernier devant suivre à la lettre l'ordre divin, car le
moindre écart aux instructions divines dans le déroulement de
ce service peut être fatal. Les aliments et les boissons des fils d'Aaron
sont remplacés par un jour de total abstinence d'aliments et de boissons.
LES DEUX BOUCS
D'autres détails du service de Yom Kippour prennent également
un nouveau sens quand ils sont comparés aux agissements de Nadav et
Avihou. Le rituel central du jour impliquait deux boucs, l'un offert dans le
Temple, l'autre envoyé dans le désert.
Le bouc offert dans le sanctuaire était "korbane lashem" (sacrifice
pour D-ieu). L'autre, envoyé vers un lieu de désolation et poussé du
haut d'une falaise, était "korbane laazazel" (sacrifice pour
azazel) qui a donné naissance à une expression devenue célèbre
: "bouc émissaire".
Ce rituel est quelque peu étrange. Pourquoi prendre un bouc, simplement
pour le rejeter et l'envoyer au loin, vers un endroit désert où personne
n'assistera à son sacrifice? Ce rituel semble nous apprendre la différence
fondamentale qui existe entre le service divin, accepté et aimé de
D-ieu, et "le bouc émissaire" qui représente ce qui
a été rejeté par D-ieu. Mais il y a plus encore.
En ce qui concerne
les deux boucs de Yom Kippour, la Mitsva est qu'ils soient identiques
en apparence, en taille et en valeur; ils doivent être choisis
en même temps. [Yoma 62a]
Cette Mishna enseigne que ces deux
boucs devaient être identiques, comme
des jumeaux. Ceci paraît étrange. Pourquoi les boucs devaient-ils être
identiques, surtout quand on sait combien la signification qu'ils revêtaient était
différente?
Le thème des "jumeaux", jumeaux qui sont en tout point opposés,
apparaît souvent dans la Torah. Les jumeaux les plus célèbres étant évidemment
Jacob et Esaü. Ils étaient diamétralement opposés
: l'un bon, l'autre mauvais. Personne ne pouvait les confondre. Toutefois,
ils avaient peut-être quelques ressemblances. Rashi nous dit que jusqu'à l'âge
de 13 ans, on ne pouvait les distinguer (Rashi, Bereshit 25:27). Le Midrash
affirme :
Essav méritait d'être appelé Jacob et Jacob méritait
d'être appelé Essav. [Midrash Zouta Chir Hachirim 1:15]
Leur ressemblance était telle que leur père
les a confondus. L'un s'habilla comme l'autre et l'autre parla comme le premier.
Pourquoi le plan divin a-t-il mis
en scène des jumeaux? Etait-il nécessaire
que ces "frères ennemis" soient jumeaux? Le fait d'être
frères aurait peut-être été suffisant. Manifestement,
la Torah voulait que Jacob et Essav, soient quasiment identiques. Leur ressemblance
représente peut-être l'infime ligne de démarcation qu'il
peut y avoir entre un comportement louable et l'idolâtrie, entre le bien
et le mal.
Rav Yits'hak Hutner a relevé cette ressemblance et en a conclu que
lorsque des choses paraissent semblables extérieurement, c'est un signe
pour que l'on se concentre davantage sur l'aspect intérieur, sur l'essence
même, afin de percevoir la différence (voir Pa'had Yits'hak, Pourim,
page 43).
Le thème des deux boucs est intrinsèquement lié aux personnalités
de Jacob et Esaü ils paraissent identiques à l'extérieur,
mais leur essence est aux antipodes. La raison pour laquelle nous avons besoin
d'offrir le second bouc, le bouc émissaire, c'est que trop souvent nous
nous trouvons dans l'habit d'Esaü au lieu de nous comporter comme le Jacob/Israël
que nous sommes.
Ce parallèle entre les deux boucs sacrifiés le jour de Yom Kipour
et la relation Jacob/Esaü est renforcé par le texte de la Torah.
Rappelons-nous du fameux épisode où la mère de Jacob le
convainc de s'habiller comme son frère pour prendre la bénédiction
de son père. Rebecca lui précise :
Va maintenant vers le troupeau et rapporte-moi deux bons boucs...[Genèse
27:9]
Le Midrash développe cette idée
:
D'où savons-nous que c'était grâce au mérite de
Jacob (que nous apportions les deux boucs à Yom Kippour)? Ce sont les
deux boucs auxquels sa mère a fait référence lorsqu'elle
dit : "Va maintenant vers le troupeau et rapporte-moi deux bons boucs..." Pourquoi
sont-ils appelés "bons"?
Rabbi Brekhia a dit
au nom de Rabbi 'Helbo : "ils sont bons pour toi et
bons pour tes enfants. Ils sont bons pour toi lorsque tu entreras et prendras
les bénédictions de ton père, et ils sont bons pour tes
enfants lorsqu'ils se saliront par le péché tout au long de l'année.
Ils prendront alors ces deux boucs, les offriront et ils seront purifiés" [Pessikta
Rabbati section 47]
L'entrée de Jacob dans la pièce où se trouvait son père
peut être mise en parallèle avec l'entrée, une fois par
an, du Cohen Gadol, le Grand Prêtre, dans le Saint des Saints. Jacob
a préparé pour sa rencontre deux boucs, ses descendants en feront
de même plus tard.
UN BOUC POUR AZAZEL
Bien que nous puissions maintenant
comprendre la symbolique des deux boucs, nous n'avons toujours pas d'explication
sur la signification du bouc envoyé vers
un lieu de désolation et sur le nom qu'il porte : bouc "pour azazel".
Rabbi Mena'hem Azarya DeFano, dans
son ouvrage "Sefat Emet" explique
que le nom Azazel est l'acronyme de ze le'oumat ze 'assa Elokim, "D-ieu
a fait correspondre l'un à l'autre", un verset de l'Ecclésiaste
:
Quand les choses vont
bien, sois heureux, mais au jour du malheur, réfléchis
: D-ieu a fait correspondre l'un à l'autre, pour que l'homme ne trouve
rien à redire contre Lui. [Ecclésiaste 7:14]
Selon Rabbi DeFano, le contraste entre le bien et le mal, avec l'acceptation
que les deux émanent de D-ieu, est résumé dans ce verset.
Dans la même idée, le Midrash explique que D-ieu a créé à la
fois Jacob et Essav (voir Pessikta DéRav Kahana, chapitre 28).
Il est fascinant de noter que l'exemple
type illustrant que le bien comme le mal émanent de D-ieu n'est autre que le cas de Jacob et Esaü.
Dès lors, nous comprenons que quelque part, le bien a besoin du mal
pour exister, pour la seule et unique raison d'avoir quelque chose à rejeter.
C'est son contraste avec le mal qui permet au bien de briller.
Les problèmes surgissent lorsque l'homme emprunte les voies du mal,
s'identifiant à elles, au lieu de les rejeter. Ce chemin est un rejet
de D-ieu et de l'image de D-ieu qui est en nous, comme en témoigne un
autre détail du rituel de Yom Kippour.
C'est le tirage au sort qui déterminait lequel des deux boucs identiques
devait être sacrifié dans le Sanctuaire et lequel était
destiné à Azazel.
L'idée de faire appel au sort, semble être une concession au "hasard" qui
jalonne l'existence humaine. Et pourtant, cette conviction de penser que la
vie est déterminée par le hasard, plutôt qu'orchestrée
par D-ieu, est considérée comme contraire au Judaïsme. C'est
Amalek, l'ennemi qu'Israël doit effacer de la surface du globe, qui adhère à cette
philosophie.
Souviens-toi de ce que t'a fait Amalek en route quand vous êtes sortis
d'Egypte. Il t'a rencontré en chemin... [Deutéronome
25:17-18]
Rashi explique que le terme "il t'a rencontré", karkha, peu
utilisé dans la Torah, signifie "par hasard". Par ces quelques
mots Rashi nous apprend toute la différence entre le Judaïsme et
la philosophie d'Amalek. Nous croyons en un D-ieu qui est impliqué dans
l'Histoire, alors que pour Amalek, la vie n'est qu'une succession de coïncidences.
Haman, l'un des plus célèbres descendants d'Amalek, a utilisé le "sort" pour
déterminer quel était le meilleur jour pour attaquer et exterminer
les Juifs. Ces derniers, en réponse à cela, se sont tournés
vers D-ieu, ont placé leur confiance dans Son implication dans l'Histoire
et ont été sauvés. De la même manière, Moshé priait
et levait les mains au Ciel, alors que la bataille contre Amalek faisait rage
autour de lui, pour signifier aux Juifs que lever les yeux, demander l'aide
du Très-Haut et n'avoir confiance qu'en Lui était la seule arme
contre Amalek.
Quand le Juif faute et commence à se comporter comme Essav, oubliant
D-ieu qui est à chaque instant impliqué dans l'histoire du monde,
D-ieu l'invite à entrer dans le Sanctuaire, représenté par
le Cohen Gadol.
Le tirage au sort des deux boucs
nous contraint à examiner notre comportement
: n'avons-nous pas indirectement adhéré à la philosophie
d'Essav et d'Amalek, philosophie qui consiste à penser que la vie n'est
qu'une succession de "hasards", de "chances" ou de "malchances"?
Ignorer que D-ieu s'implique dans les moindres détails de notre vie
constitue la source de toute faute. Par conséquent, à Yom Kippour,
rien ne peut être oublié, chaque détail est important.
Chaque détail de Yom Kippour est la reconnaissance de l'implication
de D-ieu dans nos vies. Cette journée est remplie de respect et de crainte,
une crainte qui ne peut se ressentir qu'après avoir compris que D-ieu
est intimement impliqué dans nos vies. Cette crainte, en retour, donne
naissance à une joie qui ne peut se ressentir qu'après avoir
compris que le D-ieu que nous craignons est le D-ieu du pardon et d'un amour
infini.