Tolkien n'aimait pas l'allégorie, il la considérait 
  comme un genre stérile et prévisible. Pourtant, nombre de ses 
  lecteurs, ayant lu le Seigneur des Anneaux, n'ont pas pu résister 
  à la tentation et se sont livrés à toutes sortes d'interprétations, 
  dont les plus populaires font apparaître ce livre, comme une symbolique 
  chrétienne ou comme une allégorie des deux grandes guerres du 
  20ème siècle. 
Tout comme l'œuvre d'origine, la version cinématographique 
  du Seigneur des Anneaux a inspiré de nombreuses spéculations, 
  qui pour la plupart tentent de la mettre en parallèle avec notre réalité 
  contemporaine. La grande majorité des commentaires avancés jusqu'à 
  présent ne fait que dénaturer l'essence même de la 
  quête du Seigneur des Anneaux et de ses enseignements sur le Mal.
Dans la vague des atrocités du 11 septembre, nombreux 
  sont les critiques ayant découvert des rapprochements entre le Seigneur 
  des Anneaux et l'Amérique. (...)
Le but ici n'est pas de pourchasser, ni de punir l'ennemi, mais de détruire l'objet qui pourrait lui donner le pouvoir absolu.
Il existe bien certains parallèles. Ces drames mettent 
  tous les deux en scène de simples citoyens et leurs dirigeants, soustraits 
  à leurs vies ordinaires par un Mal pernicieux. Après un choc initial, 
  ils décident de faire cause commune et finissent par découvrir 
  qu'ils possèdent en eux des ressources inespérées. 
  Il existe également une similitude entre la manière dont toutes 
  ces personnes, sans oublier leurs terres d'origine, mettent de côté 
  leurs divergences pour lutter contre un ennemi commun.
Pourtant, cette comparaison ne fait qu'obscurcir la nature 
  même de la quête du Seigneur des Anneaux et du mal particulier que 
  renferme l'Anneau. Le but ici n'est pas de pourchasser, ni de punir 
  l'ennemi, mais de détruire l'objet qui pourrait lui donner 
  le pouvoir absolu. 
De plus, les dangers qu'affrontent les porteurs de l'Anneau 
  sont tout autant intérieurs qu'extérieurs. Certains membres 
  de la Communauté de l'Anneau sont en effet tentés par l'attrait 
  qu'offre ce dernier, les raisons qui les motivent étant très 
  variées, mais provenant invariablement d'un désir de faire 
  le bien. Le personnage le plus tragique est celui de Boromir, l'un des 
  deux membres humains de la Communauté, qui désire utiliser le 
  pouvoir de l'Anneau pour défendre son peuple contre le maléfique 
  Sauron. Son désir de posséder l'Anneau est tel qu'il 
  entraînera sa mort et la dissolution de la Communauté.
La grande leçon du Seigneur des Anneaux est que l'usage 
  de certains moyens ou instruments est intrinsèquement mal et corrompt 
  celui qui les emploie, et ce, quelque soit le bien éventuel qui pourrait 
  en résulter ou qui motive leur usage.
L'enseignement du Seigneur des Anneaux au sujet du Mal va à l'encontre des idées reçues. Il s'oppose aux a priori que rien n'est vraiment mal en soi.
Quand Elvis Mitchell, critique au New York Times, décrit 
  l'Anneau comme étant si puissant que même l'éminent 
  Gandalf en a peur, il inverse les données du problème. C'est 
  justement parce que Gandalf est profondément conscient du réel 
  pouvoir corrupteur de l'Anneau qu'il le craint. Il sait que l'Anneau 
  risque de persuader les puissants qu'ils sont capables de maîtriser 
  son pouvoir avant que l'Anneau ne les détruise.
On arrive facilement à cette conclusion dès l'une 
  des premières scènes, lorsque Frodon, réalisant que la 
  possession de l'Anneau fait de lui une cible facile pour les forces du 
  Mal, veut le confier à Gandalf. Le magicien qui jusqu'alors apparaît 
  comme un personnage enjoué et paternel, devient soudainement brutal à 
  l'égard de Frodon et lui ordonne de ne pas le tenter avec l'Anneau. 
  Gandalf, qui ne touchera même pas à l'Anneau, reconnaît 
  que, malgré son désir profond de faire le Bien, sa possession 
  de l'Anneau n'occasionnerait qu'un grand et terrible Mal.
L'enseignement du Seigneur des Anneaux au sujet du Mal 
  va à l'encontre des idées reçues. Il s'oppose 
  aux a priori que rien n'est vraiment mal en soi ; que seuls les individus 
  faibles et ignorants sont terrifiés par des choses considérées 
  comme « mal » ; et que des individus intelligents animés 
  de bonnes intentions, peuvent employer n'importe quels moyens pour atteindre 
  un bien ultime.
Une autre interprétation : celle que les acteurs et le 
  producteur, Peter Jackson, semblent préférer - est de nature écologique. 
  Elle prétend que la distinction entre le bien et le mal repose sur diverses 
  relations à la nature. Selon elle, le bien existe en harmonie avec la 
  nature, alors que le mal qui lui est indifférent et même hostile, 
  utilise la nature, comme un matériau de base pour satisfaire sa cupidité 
  et ses ambitions au pouvoir démesurées. 
Le plus grand danger qui nous menace n'est pas la déperdition des ressources naturelles, mais la dégénérescence morale de l'espèce humaine.
Cette interprétation est soutenue par le film et peut-être 
  encore plus par le livre. La cupidité est de toute évidence un 
  mal impardonnable dans le Seigneur des Anneaux où l'attrait des 
  Nains pour les richesses dans les mines de Moria réveille un mal ancestral. 
  On peut également se remémorer la scène où Saroumane, 
  le magicien perfide, ancien ami de Gandalf et maintenant son adversaire, ordonne 
  à ses serviteurs d'abattre des arbres pour alimenter un feu qui 
  doit lui servir à façonner une nouvelle créature, mi-homme 
  mi-Orque. Il s'ensuit une prise de vues sur la déforestation massive. 
  
Toutefois, l'interprétation écologique, 
  surtout si elle est perçue de manière classique et libérale, 
  n'atteint pas l'essentiel. Le plus grand danger qui nous menace 
  n'est pas la déperdition des ressources naturelles, mais la dégénérescence 
  morale de l'espèce humaine.
Les héros de Tolkien ne sont pas des créatures 
  indépendantes, elles acceptent un rôle, au sein de l'ordre 
  naturel et même surnaturel, qu'elles n'ont pas choisies. Le 
  projet de clonage de Saroumane, sa tentative de recréer la vie à 
  sa propre image et ressemblance, ou tout au moins pour satisfaire ses ambitions, 
  reflète le projet même de Sauron qui est animé d'une 
  « volonté de dominer toute vie ». 
Existe-t-il une analogie contemporaine à cela ? Bien 
  sûr. Elle est déjà amorcée à travers la proclamation 
  d'une liberté sexuelle désincarnée, dans la pratique 
  de l'avortement, et dans la pression en faveur d'une plus grande 
  liberté pour les manipulations génétiques, incluant même 
  le clonage. Bien évidemment, ces projets ne sont pas menés à 
  la manière de Sauron, avec l'intention maléfique de dominer 
  le monde, mais en se réclamant du progrès, de la compassion et 
  de la liberté. 
Pourtant, si nous prenons au sérieux les enseignements 
  du Seigneur des Anneaux, nous réalisons que même les meilleures 
  intentions ne sont pas une garantie pour nous empêcher d'engendrer 
  un grand et terrible mal.
 
Cet article a paru originellement 
  sur www.nationalreview.com