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Judaïsme / Diet-éthique back  Retour

Ruminer et avoir les sabots fendus : la mémoire active

Il faut agir en homme de pensée
et penser en homme d’action.
Henri Bergson

Souviens-toi de ton futur...
Rabbi Na’hman de Breslev
Pour qu’un quadrupède soit cacher, il faut qu’il satisfasse à deux exigences : être un ruminant et avoir les sabots fendus. On ne trouvera donc chez le boucher cacher ni côtelettes de porc (qui a les sabots fendus mais ne rumine pas) ni steak de cheval (qui n’a aucun des deux signes de cacheroute).
 

Doux comme des agneaux...

L’une des explications de ces deux critères serait en lien avec le caractère herbivore des animaux répondant aux deux critères. Ne pouvant interdire complètement la consommation de viande, comme c’était pourtant prévu initialement (Adam et Eve n’avaient le droit qu’à la consommation des fruits et des légumes), la Torah aurait demandé aux Hébreux de devenir « herbivores au deuxième degré ». En effet, être ruminant (ne manger que de l’herbe) et avoir les sabots fendus (ne pas courir vite et donc ne pas être un prédateur), c’est être un animal végétarien (voir article sur l’abatage rituel).

Pour d’autres commentateurs, selon lesquels notre esprit est influencé par les caractéristiques des animaux consommés, le fait de ne manger que des animaux « paisibles » et de s’interdire la chair des espèces cruelles et carnivores, serait une tentative de limiter les aspects violents et belliqueux de notre personnalité.
 

Pensée et action

Mais dans une approche plus symbolique, on peut envisager ainsi le sens de ces deux aspects : ruminer/avoir les sabots fendus. La rumination correspond à la réflexion. On dit de quelqu’un qu’il rumine une pensée. La rumination est une incorporation lente et progressive, comme l’est parfois une idée que l’on veut prendre le temps d’appréhender. Le sabot fendu renvoie pour sa part à l’action. Les animaux qui ont les sabots fendus marquent le sol de manière significative. Le contre-exemple cité dans la Torah est le chameau dont les pattes se terminent par des sortes de « coussins d’air » qui ne laissent pas de marques à terre.
Au niveau conceptuel, ruminer et avoir les sabots fendus, c’est être à la fois dans le monde de la pensée et dans le concret de l’action.

Il y a des gens qui foncent. Il leur faut agir vite et de manière remarquée. Ils détestent les théoriciens et ceux qui prennent le temps de la réflexion, en les accusant de ne faire que penser et bavarder sans jamais passer à l’acte.

A l’extrême inverse, nous rencontrons parfois des gens qui planent dans les hautes sphères, qui évoluent dans le monde des idées, mais qui sont incapables de passer à l’action et de traduire dans le concret leurs belles idées.

On l’aura compris, la double exigence rumination (des idées) / sabots fendus (laisser une trace, agir concrètement) est une invitation à ne pas agir sans réfléchir ni à prolonger indéfiniment nos réflexions sans jamais traduire nos idées en actes.
 

La mémoire en action

Nous avons associé la rumination à la pensée. Mais plus précisément, c’est à la mémoire que renvoie cette notion. On dit bien de quelqu’un de nostalgique ou d’une personne traumatisée par un événement marquant qu’elle « rumine » sans cesse les mêmes choses. Or la rumination n’est pas problématique en soi (c’est un critère de cacheroute) si elle s’accompagne du sabot fendu qui renvoie à l’action. La mémoire doit être orientée vers l’action.

Le judaïsme accorde une grande importance à la mémoire. Les fêtes juives, par exemple, nous rappellent des événements passés qui sont mêmes mis en scène (on mange des herbes amères à Pessa’h pour évoquer l’amertume de l’esclavage égyptien, on habite sous une cabane à Soukkot pour revivre l’ambiance des nuées de gloire enveloppant les Hébreux dans leurs pérégrinations etc.). Mais il ne s’agit pas d’une mémoire nostalgique ou plaintive (rumination seule) mais d’une plongée dans notre passé pour en tirer des leçons d’avenir.
 

Exemple : la fête de Pessa’h

Prenons l’exemple de la fête de Péssa’h. Lors de la soirée pascale, les juifs mangent du pain non levé (matsa) et lisent la haggada (récit de la sortie d’Egypte) qui commence par les mots suivants :
« Voici le pain de misère (la’hma ania, allusion au pain azyme qui va remplacer le pain durant la semaine de Péssa’h) que nos ancêtres ont mangé en terre d’Egypte, que celui qui a faim vienne et mange, que celui qui veut célébrer Péssa’h vienne et le célèbre».

Ainsi s’ouvre la soirée pascale (séder). Cette formule étonne car on ne saisit pas bien l’articulation entre les deux parties de cette introduction au récit de la sortie d’Egypte : 1/ On évoque la misère de nos ancêtres qui, pris par leur labeur et n’ayant pas le temps de faire lever la pâte, ont mangé du pain azyme durant leur esclavage. 2/ On invite ceux qui n’ont pas où manger à se joindre à nous (au moment où l’on récite ce passage, certains ont l’usage d’ouvrir la porte de la maison pour joindre le geste à la parole).
Voici comment comprendre l’enchaînement de ces deux idées : puisque nous avons jadis souffert dans notre propre chair, nous avons le devoir d’être sensibles à la détresse de l’autre : nos ancêtres étaient affamés en Egypte, donc nous ouvrons nos portes…
L’évocation de l’esclavage n’est pas une lamentation stérile sur notre sort douloureux mais un retour à l’Histoire en vue d’en tirer des leçons de vie pour aujourd’hui.
 
La réactivation verbale et gestuelle des souvenirs douloureux de l’esclavage ne se justifie que par la transformation de cette mémoire en une responsabilité active. C’est d’ailleurs pourquoi, plus que toute autre fête, Péssa’h est un moment de solidarité sociale marquée dans la pratique par de nombreux gestes de générosité (paniers de pâque offerts aux démunis, invitations à la table du séder, campagnes de solidarité à l’approche de la fête etc...).

L’invitation faite aux indigents le soir de Pessa’h (« que celui qui a faim vienne et mange ») n’est bien sur pas limitée à cette seule fête. Elle vient rappeler le message qui devrait nous accompagner tout au long de l’année (l’esclavage égyptien est d’ailleurs évoqué quotidiennement dans la liturgie). Le Talmud (traité Taanit, p.20b) raconte par exemple, parmi les hauts-faits de Rav Houna, que ce dernier ne passait jamais à table sans ouvrir au préalable sa porte et s’écrier : «Quiconque a besoin de se restaurer, qu’il vienne et mange ».
Une même exigence morale conduisit Rabbi Samuel Eliezer Idels (1555-1631, surnommé le Maharcha, célèbre commentateur du Talmud), à faire graver au dessus de sa porte le verset suivant  (Job, 31,32) : «L’étranger ne dormira pas dans la rue, ma porte est ouverte au voyageur ».

Dans la vie collective comme dans la vie individuelle, un événement douloureux peut être dépassé et « faire sens » quand il sert de tremplin à une action concrète, à un engagement responsable, à une empathie accrue pour ceux qui traversent la même épreuve etc... C’est la démarche de résilience chère à des penseurs comme le célèbre psychiatre Boris Cyrulnik.

Pour conclure, nous dirons donc que la double exigence sabots fendus/rumination est une invitation à traduire nos pensées et nos ruminations intérieures en actions concrètes, laissant une trace repérable.
 


A PROPOS DE L'AUTEUR
Le Rav Amitaï ALLALI
Commissaire Général des Eclaireuses Eclaireurs Israélites de France (EEIF), avant de devenir conseiller pédagogique pour l’enseignement juif à l’école George Leven. Il a enseigné à l'Institut Universitaire Rachi de Troyes et a dirigé la Section Normale des Etudes Juives de l'A.I.U. (Alliance Israélite Universelle). Il a occupé des postes rabbiniques dans les communautés de Bordeaux et de Vincennes et est aujourd’hui conférencier à l’association LEV. Il est l’auteur de « La Tsédaka : Lois et commentaires sur les dons aux pauvres de Maïmonide » paru aux éditions Lichma en 2006, « Les trompettes d'argent » (Octobre 2008), "Leçons de diét-éthique" (2ème trimestre 2009), et "Les prophètes, les enfants et les fous" (1er trimestre 2010).
  Liens vers les articles du même auteur (22 articles)


COMMENTAIRE(S) DE VISITEUR(S)  1
Diet-ethique : Les sabots fendus - 13 Juillet 2009 - par neufeind winfried
Peut-être que les sabots fendus servent aussi à nous rapeller la dualité qui traverse toute la Thora et met en lumière l'unicité de D' . Dualité qui assure le libre-arbitre et qui préserve de l'idolatrie et éloigne les idées noires qui peuvent mener au suicide. En face d'un problème la séparation du sabot nous enseigne qu'il faut agir car il existe toujours 2 voies et du bon choix dépend la vie.
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